01/01/2020
Christian Lehmann – No pasarán, le jeu
Éric, Thierry et Andreas sont en voyage scolaire à Londres. Ayant repéré l'adresse d'un magasin de jeux vidéos, ils faussent compagnie à leur classe et le temps d'une journée, ils cherchent cette terre promise: une boutique qui leur proposerait des jeux qui ne sont pas encore arrivés en France.
Et celle-ci est exceptionnelle: non seulement elle détient des jeux rares, mais en plus ils sont à un prix dérisoire. Cependant, le vieux marchand, lorsqu'il aperçoit sur le blouson d'Andreas un insigne nazi, se trouble, et offre aux trois adolescents un jeu hors normes, L'Expérience ultime.
De fait, ce jeu est anormal: il tient sur une unique disquette mais propose aux joueurs une immersion totale dans des scènes de guerre historiques.
No pasarán, le jeu est un roman pour adolescents de Christian Lehmann, paru en 1996, en plein pendant le premier âge du jeu vidéo moderne, celui qui a vu l'apparition des premiers jeux en 3D, tels que Alone in the Dark et surtout Doom, cité à de nombreuses reprises dans le roman. Et si l'on voit que l'auteur connaît ces jeux, on ne peut qu'être frappé aussi par les descriptions qu'il en donne: du sang partout, des organes explosés, bref, de la violence – gratuite, évidemment. Sans doute n'était-ce pas l'intention première de l'auteur, mais on sent ici comme une dénonciation des jeux vidéos. Or on peut voir à l'aide de propos plus tardif de Christian Lehmann que s'il voulait amener une réflexion sur le jeu vidéo, il ne s'agissait pas pour lui de le dénoncer. On peut donc dire déjà que le roman est bancal.
Sa dénonciation du fascisme, en revanche, est bien réelle, de même que ses considérations sur la guerre de Bosnie. Mais tout cela est servi par une plume assez plate, mettant en œuvre des personnages auxquels on peine à s'attacher.
13:29 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (1)
30/12/2019
Poul Anderson - La Reine de l'Air et des Ténèbres
Après Clifford Simak, Poul Anderson, autre grand classique de la SF américaine, et avec là encore un recueil de nouvelles: La Reine de l'Air et des Ténèbres, paru chez J'ai lu en 1982 et reprenant tel quel un recueil américain de 1973.
Si ce volume contient six nouvelles différentes, n'ayant a priori rien en commun, il faut bien avouer cependant que ce recueil est remarquablement cohérent par les thèmes qu'il aborde. Ou plutôt, par LE thème. Car chaque nouvelle nous montre ce qui peut se passer lorsqu'une colonie, éloignée de la Terre dans le temps comme dans l'espace, se retrouve à évoluer seule, au contact d'un environnement différent, parfois totalement autre. Ainsi dans la nouvelle éponyme, sur la planète Roland, les indigènes ont tout fait pour disparaître de la surface du globe, du moins aux yeux des envahisseurs humains, qui ne se doutent pas de leur présence. Mais petit à petit, tout se passe comme si les colons agriculteurs étaient hantés par des fées, des elfes...
Dans Chez nous, les occupants d'une petite base scientifique, installée sur une monde paradisiaque, refusent de revenir sur Terre lorsque l'ordre leur en est donné: ils sont persuadés qu'ils vont pouvoir se fondre pacifiquement dans la population locale.
Dans L'Ennemi inconnu, le monde de Sibylle, lui, est au contraire hostile, et la colonie locale a toutes les peines du monde à s'y maintenir. Pire: d'étranges extraterrestres y ont mené un assaut violent il y a quelques décennies. Aussi la flotte du Directorat vient-elle enquêter.
La nouvelle Le Faune semble revenir sur le monde de Chez nous. Mais cette fois-ci, tout s'y passe pour le mieux: les humains ont appris à respecter ce monde et à s'y intégrer.
Dans l'ombre, sans doute la nouvelle la plus faible du recueil – mais une très bonne nouvelle tout de même: c'est dire de la valeur du reste –, nous montre une expédition scientifique aller à la rencontre d'un astre inconnu, invisible, errant, sans doute venu d'un univers de matière noire.
Enfin, Décalage horaire, qu'il aurait mieux valu titrer en français Décalage temporel, nous montre comment une planète du même type que celles présentées dans Le Faune ou Chez nous, et ses habitants s'y prennent pour résister aux tentatives d'invasions menées par un monde industriel surpeuplé.
Voilà un recueil qui se lit d'une traite, servi par une belle plume (même si l'on peut regretter quelques problèmes de traduction) mise au service d'un propos intelligent. Chaque nouvelle, en quelques pages, nous dresse un arrière plan riche, des personnages attachants mais pas infaillibles. Le thème du colonialisme est au cœur de la réflexion de l'auteur, mais aussi celui des décalages temporels entre une métropole lointaine, la Terre, et des mondes qu'on ne peut atteindre qu'après des décennies de vol relativistes. Car si Poul Anderson n'écrit ici pas de hard science bardée d'équations, il n'en respecte pas moins les règles de la physique de notre temps.
Une lecture aussi agréable que réellement enrichissante.
15:48 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (0)
21/12/2019
R. A. Dick - Le Fantôme et Mrs Muir
À trente-quatre ans à peine, Mrs Lucy Muir est veuve. Mariée sans amour à un architecte médiocre qui lui a fait deux enfants avant de tomber malade et de laisser la famille ruinée par ses spéculations boursières, elle a toujours été soumise à l'emprise de sa belle famille, qui n'a eu de cesse de choisir pour elle ce qui lui serait bon.
Aussi décide-t-elle de s'exiler et de s'installer dans un petit village sur la côte. Une maison, "Les Mouettes", a attiré son attention dans le catalogue d'un agent immobilier. Coquette, elle est pourtant proposée à la location pour une somme on ne peut plus modique. La raison? Elle serait hantée. En tout cas les précédents locataires n'ont jamais pu rester plus d'une journée dans ses murs. Mais voulant jouir de sa toute nouvelle liberté, Lucy Muir n'en fait qu'à sa tête: elle loue la maison, s'y installe avec ses enfants et rencontre... le capitaine Clegg. Ou du moins son fantôme, qui s'est juré de rester en ce lieu tant que la maison ne sera pas devenu un asile pour vieux marin. Et gare à quiconque osera modifier les lieux.
Mais Mrs Muir, pourtant petit et frêle, va non seulement lui tenir tête, mais aussi tâcher de l'apprivoiser.
Roman méconnu, unique œuvre traduite en français de R. A. Dick (pseudonyme de Josephine Aimee Campbell Leslie), Le Fantôme et Mrs Muir (1945) est un petit bijou. Au premier abord, il joue dans le registre de la comédie légère, et se révèle souvent drôle dans sa description de la confrontation entre un caractère fort, celui du vieux marin, et un autre en passe de le devenir tout autant, celui de Lucy, qui compte bien ne plus laisser quiconque lui dicter ses choix.
Mais cette œuvre est aussi une satire de la bonne société britannique, de ce milieu où les femmes doivent être de jolies petites poupées qui se tiennent bien, qui vont au club de bridge, s'occupent de bienfaisance, parlent peu, et font tout ce que leur mari leur dit, bref d'éternelles mineures. Mrs Muir a ici quelque chose de Madame Bovary, mais une Madame Bovary patiente, qui s'en voudrait de faire du mal à qui que ce soit, et qui préfère rester seule – ou presque, puisqu'il y a le fantôme –, tranquille, que mal accompagnée. Et lorsqu'elle tombe amoureuse et apprend que son prétendant est en fait déjà marié, elle préfère rompre aussitôt, quitte à se faire mal, tout en reconnaissant que cet amour l'a tout de même rendu heureuse.
Roman sensible, drôle, romantique sans tomber dans le mièvre, Le Fantôme de Mrs Muir est un de ces petits bijoux capables de raconter avec finesse toute une vie en à peine deux cents pages.
17:21 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (1)