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02/10/2011

Howard Fast - Au seuil du futur

Howard Fast est mondialement célèbre pour ses polars et Spartacus. On sait moins maintenant qu'il a aussi commis une poignée de nouvelles de SF. Certaines d'entre elles furent publiée au début des années 60 dans Fiction, puis retraduites et rassemblées avec d'autres encore inédites en français, au sein du recueil Au Seuil du Futur (Marabout, 1962, ici lu dans sa version de 1972). Fast.jpg

Sept nouvelles, donc, plus une préface ronflante et un tantinet inutile de Hubert Juin, qui omet totalement de mentionner l'engagement de Fast au sein du Parti communiste américain, puis au sein de la social-démocratie. La peur d'effrayer un lectorat encore largement classé à droite? Cette information est pourtant capitale pour comprendre les textes contenus dans cette anthologie.

Car Fast, ici, écrit comme un soviétique. C'est-à-dire qu'il peut être didactique à souhait, insérant dans ses textes de longs discours qui pourraient pousser le lecteur passionné d'action à l'ennuit. C'est le cas pour Les Premiers hommes, qui commence comme une nouvelle epistolaire portée sur l'enquête, mais s'achevant sur une lettre explicative particulièrement longue (quoi que fascinante). Idem pour La Fourmi géante, un texte assez invraisemblable, qui voit un scientifique faire un long discours sur des ET insectoïdes et la paix dans le monde à un parfait quidam. Idem encore, dans Caton l'Ancien (une réussite celui-là).

Car Fast a des choses à dire, des idées à dévoiler. Sur l'éducation, et comment notre mode de société actuel constitue un frein à l'évolution de l'Homme (Les Premiers hommes); sur le fait que pour obtenir la paix dans le monde, il faut donner aux hommes un ennemi commun, qu'il soit réel (Caton le Martien) ou fictif (Made in Mars); sur le fait que pour parvenir au même but, les entreprises multinationales semblent mieux placées que les états (une vision effrayante qui préfigure les systèmes politiques que l'on trouvera dans le cyberpunk); sur le fait, finalement, que l'homme n'est qu'un animal fou porteur de violence (Caton le Martien, La Vue de l'Eden).

Et il est assez passionnant de découvrir une parenté réelle entre Les Premiers hommes, et le premier roman clandestin des frères Strougatski, Les Vilains cygnes (traduit en français sous le titre Les Mutants du brouillard). Cette nouvelle de Fast n'a semble-t-il pas été traduite en russe avant 1991, mais on sait que les Strougatski, qui traduisait l'anglais, allaient se fournir en Pologne en ouvrages anglo-saxons parfois interdits en URSS. Si le roman des deux frères offre un tout autre sens, l'analogie entre les deux textes reste frappante. Et l'on peut se demander si Made in Mars n'a pas non plus influencé La Seconde invasion des Martiens...

Bref, Au Seuil du futur est un recueil stylistiquement assez pauvre (et la traduction ne l'a pas toujours arrangé), mais particulièrement riche en idées politiques, ce qui est somme toute encore assez rare pour l'époque. Une curiosité, donc.

28/09/2011

Jack Vance - Les Cinq rubans d'or

Rien de tel après un petit Vance, qu'un autre petit Vance. Son premier roman, a priori, Les Cinq rubans d'or, datant de 1950 mais publié en français seulement en 1984, chez Presses Pocket.Vance.jpg

Paddy est un aventurier, pour ne pas dire un voleur, un type qui, sans être une brute, n'a jamais froid au yeux, bref un Irlandais pur et dur. Mais voilà qu'il s'est mis en tête de subtiliser le secret technique de l'ultrapropulsion. Il faut dire que les descendants du découvreur de l'ultrapropulsion, les Langtry, le gardent jalousement et rationnent ainsi la production de moteurs. C'est bien sûr l'appât du gain qui motive Paddy, mais il va vite être rattrapé par d'autre considérations, nationales si l'on peut dire, lors qu'il va tuer par accident les cinq détenteurs actuels du secret.

Un petit roman, donc, mais fort sympathique. Vance a su créer un univers cohérent: les descendants de Langtry ont peuplé cinq mondes, y ont muté - chacune des cinq populations acquérant un physique adapté à sa planète et n'ayant souvent plus d'humain que le nom -, et ces cinq mondes dominent l'ensemble des autres, du fait qu'ils sont les seuls à pouvoir produire les moteurs nécessaires aux voyages interstellaires. La Terre est ainsi relevé au rang de planète sous-développée (de Tiers-Monde pourrait-on dire), méprisée de tous.

Et pour développer son récit, Vance dote vite Paddy d'une associée, Fay, membre d'une mystérieuse Agence Terrienne, et qui sur bien des points se révellera supérieure à cet Irlandais à la tête dure farcie de clichés machistes. Ce duo en évoque clairement un autre, bien connu en France: celui de Valérian et Laureline! Et c'est avec le même bonheur que l'on peut aussi bien lire les aventures de Paddy et Fay, que celles des personnages de Christin et Mézières.

18/09/2011

Roland C. Wagner - La saison de la sorcière

Que dire de ce court roman de Roland Wagner, paru initialement en 2003? D'abord que dans sa version poche il dispose d'une très chouette couverture de Benjamin Carré, bien plus sympathique que celle de la version grand format et surtout collant formidablement au texte. Et à vrai dire, c'est elle qui m'a attiré, non pas parce que la nénette est mignonne, mais par le contraste que cette illustration offre entre une sorcière sur un balet et le chasseur à réaction qui la poursuit. Comment, une sorcière, une vraie, chez Roland Wagner, un auteur de SF pur et dur?Wagner.jpg

Tout commence par les mésaventures de quatre pieds nickelés, quatre banlieusards, mi-petits délinquants, mi-chômeurs, mi-zonard (oui, ça fait beaucoup de mi-): Vater Traüm, Lord, Tête de Maure ("Maure", pas "Mort", ça a son importance), et surtout Fric qui sort de 18 mois de prison pour avoir été choppé en train de fumer un pétard. Quatre kékés pas forcément très futés, mais sympathiques qui, par bravade, ont décidé de dépouiller un GI ivre mort. Mais c'est sans compter sur la présence inattendue de deux policiers qui se retrouvent illico ficelés dans un local à poubelles. Et Vater Traüm de revendiquer l'action au nom d'un groupuscule terroriste qu'il vient tout juste d'inventer: le Front de Libération de la Banlieue Parisienne.

Car oui, Paris et sa banlieue, et même toute la France, sont occupées. Par les Américains (les Tazus pour reprendre l'expression argotique en usage). Mieux, avant ce débarquement en force, un ptérodactyle géant a volé la Tour Eiffel. Et la tour de Londres a fondu, et des statues de Mao géantes se sont animées et ont ravagé Pékin. Clairement, dans ce futur proche où les USA sont en position hégémonique, la magie a fait son apparition, et elle est entre les mains de "terroristes".

En voilà un chouette petit roman. Roland Wagner nous fait suivre deux fils conducteurs: les (mes)aventures de Fric, et celle d'une sorcière capturée par l'armée américaine et enrolée de force dans la Brigade des Maléfices, une armée de (pseudo)mages constituée tout exprès pour lutter contre le terrorisme. Et son propos est simple: se livrer à une critique en règle de cet impérialisme des USA, et surtout des doctrines qui ont eu cour (et encore actuellement) sous les Bush père et fils. Avec cela on obtient un roman efficace, drôle et vraiment plaisant à lire, doublé donc d'un propos qui, s'il n'est pas d'une grande finesse, m'est bien sympathique. Avec cela, on a déjà les ingrédients suffisants pour faire une oeuvre populaire de qualité.

Mais c'est sans compter sur l'art qu'à Roland Wagner à parsemer ses récits d'allusions diverses et variées, et qui font mouche quand on sait les repérer. Ainsi le rassemblement des troupes US au Petit-Clamart ne manque pas de sel. De même, l'auteur a su masquer tous ses personnages sous des pseudonymes plus ou moins probables: ça n'est pas pour rien, car leurs origines, du moins celles des quatre banlieusards, nous sont suggérées quasiment à la fin. Une façon de dire dire qu'en banlieue, Arabes, Juifs ou Gaulois ne forment qu'une seule population et que les barrières n'ont pas lieu d'exister. Bref, au-delà du simple aspect divertissant, La Saison de la Sorcière est un roman plus subtil qu'il n'y paraît.

 

Et au final, fantasy ou SF, on s'en fiche.