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13/06/2011

Norbert Merjagnan - Treis, altitude zéro

Il faut bien l'avouer, pour moi qui suit handicapé littéraire, à savoir qui ne se souvient que de la trâme et de l'ambiance d'une oeuvre, et non des mots, entamer la lecture de Treis, altitude zéro fut comme un accouchement aux forceps. Il faut dire que trois ans se sont écoulés depuis la parution des Tours de Samarante. Trois ans... quand on a affaire à une oeuvre aussi stylée que celle-là, c'est long. D'autant plus que Norbert Merjagnan ouvre Treis, altitude zéro, qui est la suite immédiate des Tours..., en faisant intervenir d'emblée de nouveaux personnages. Un défi, donc.

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Et puis au bout de quelques pages, le charme opère à nouveau. On se retrouve happé par cet univers étrange, dont on ne saît vraiment où il se trouve. Norbert Merjagnan, usant d'une langue économe et pourtant remarquablement belle, a le don de planter un décor en trois lignes. Quelques mots toujours bien sentis, et nous voilà au coeur de l'Aliène, ce désert qui sépare les villes de Mirande. Et comme Oshagan et Cinabre, on se réveille au milieu de cette caravane guerrière, dont le maître se propose de sauver Samarante de l'invasion des Borgs; des millions de machines qui menacent de déferler sur la ville où nos deux héros viennent tout juste d'être condamnés, suite au canarge opéré par Oshagan. Mais Cinabre a vu que Samarante sera détruite, aussi tous deux décident finalement de vaquer à leurs propres affaire. Joti, la petite soeur d'Oshagan, serait vivante. Aussi leur faut-il rejoindre Treis, où la jeune fille serait.

De Treis, finalement, on verra peu de chose: sa porte - et sa file d'attente sans fin - et un bordel. Le roman eut mieux fait de s'intituler Aliène, altitude variable, tant le désert est finalement au coeur du propos. Peu importe: le titre, c'est pour le commerce.

Treis, altitude zéro est un conte, tout comme Les Tours de Samarante. J'avais écrit des Tours..., sur je ne sais plus quel forum (ActuSF? le Cafard?), qu'on avait affaire à quelque chose comme Gunnm de Yukito Kishiro, mais écrit par Thomas Day. Voilà qui est trop restrictif. Avec l'ajout de ce nouveau tome, on peut ajouter en guise de référence le Roger Zélazny de Seigneur de Lumière, mais avec un style empreint du (faux) détachement de Cordwainer Smith. Autant dire que c'est beau. Souvent cruel, mais beau.

Pour le coup, me voilà plongé dans la plus pure horreur. Pourvu que l'auteur ne nous fasse pas attendre encore trois ans pour le tome de conclusion!

05/06/2011

Philippe Ward - Mascarades

Fichtre... Encore parler de mon éditeur... Je m'en fiche, ce ne sera pas de la publicité déguisée. Il le sait, d'ailleurs. Mais là, il vous faudra me croire sur parole que je ne fais pas de la propagande gratuite, car Mascarades est un bon roman.

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Il s'agit en fait d'une réédition, par les éditions basques Aïtamatxi, d'Irrintzina, paru en 1999 chez Naturellement. Et donc du premier roman de Philippe Ward, avec un sujet pas facile d'emblée: le Pays Basque et son mouvement indépendantiste. Pas évident de caser cela dans un roman fantastique. Tout commence alors que l'ETA parvient petit à petit à abandonner l'action "militaire" (je mets volontairement militaire en guillemets, puisqu'il ne s'agit que de terrorisme), et que des négociations avec les plus hautes autorités espagnoles s'annoncent. Or c'est précisément-là qu'une série de meurtres touche les milieux indépendantistes. Qui plus est, le meurtrier semble prendre plaisir à se déguiser en créatures de carnaval. Au grotesque du costume, s'ajoute une sauvagerie inimaginable, d'autant plus que le tueur semble être insensible aux armes à feu.

Un homme de l'ombre, Mikel Bake, libraire de son état, mais aussi principal artisan des négociations, va tenter de mener l'enquête et de savoir qui donc voudrait une guerre ouverte quand tout montre que la paix veut s'installer.

Mascarades est un premier roman, je l'ai dit, et il en a les défauts: quelques maladresses dans les scènes d'action (des répétitions, notamment), un manque de diversité réel des personnages, qui sont tous basques (et les Basques sont des surhommes, d'une fierté à leur donner des chevilles grosses comme la lune). Mais ses défauts sont finalement peu de choses face à une intrigue pour le moins originale, dans un contexte peu courant. Peu de gens peuvent se targuer de connaître réellement le Pays Basque. Et si Philippe Ward multiplie à l'envie les références culturelles, il le fait sans didactisme: elles viennent naturellement, sont expliquées comme si de rien n'était, d'autant plus facilement que - et l'auteur le note bien - les Basques eux-mêmes tendent à oublier leurs propres traditions, qu'il faut leur remettre en mémoire.

Deuxième défi de taille, et qui là, relève de la narration: Philippe Ward a choisi de dévoiler très vite qui est "l'ennemi", "le méchant". Le lecteur sait, le héros ne sait pas. Or, peu d'auteurs peuvent se vanter de savoir maintenir un semblant de suspense dans ce type de cas de figure. Or lui s'en sort à merveille, parvenant à produire un roman passionnant qu'on lit d'une traite, idéal pour s'installer le soir au chaud dans un fauteuil et se détendre.

Nick Sagan - Idlewild

 

Halloween – un surnom bien sûr – est un adolescent. Il devrait bientôt avoir dix-huit ans. Intelligent, pour ne pas dire brillant, il doit pourtant suivre les cours d’un institut particulier, dédié officiellement à l’enseignement auprès d’enfants difficiles. Curieusement, il s’agit d’un institut médical. Et il n’y a que dix élèves. Cinq filles, autant de garçons.

Un jour, Halloween se réveille au milieu d’un champ, amnésique, et avec pour seule certitude : il a tué Lazare, un des autres garçons. Et très vite on découvre que les dix adolescents sont en fait plongés pour l’essentiel de leur temps dans un univers virtuel, éducatif, dans lequel chacun s’est créé son propre domaine et dont le centre est l’école. L’ensemble est gouverné par deux programmes, Nanny, qui fait office de bonne à tout faire, et Maestro, le professeur, copie du directeur de l’institut. Mais les choses ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît. D’un roman sur une réalité virtuelle à deux niveaux, tel qu’on a en déjà lu beaucoup, on passe à trois, et cette troisième réalité, inattendue, est pour le moins effrayante.

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Premier roman de Nick Sagan, Idlewild est une belle surprise. Sans être un chef-d’oeuvre, il est toutefois original et mené de main de maître. Il faut dire que Sagan est bien connu comme concepteur de bonnes histoires : il a déjà scénarisé une palanquée d’épisodes de Star Trek, par exemple. Mais dans l’audiovisuel, le scénariste n’apporte pas le style, qui est la part du réalisateur. Là, Sagan conçoit avec Idlewild un scénario redoutable, qui aurait pu servir de base aux meilleurs épisodes d’Au-delà du réel ou de la 4e dimension. Mais il y ajoute un choix bien senti de références. Lovecraft est abondamment cité, mais cela reste superficiel : cet auteur est juste-là comme référent à l’univers mental d’un adolescent en proie à des pulsions morbides. Si Dick est mentionné en quatrième de couverture, il faut juste le voir par l’intermédiaire du film The Matrix, des frères Wachovski : l’influence de ce film est évidente sur Sagan, qui en reprend plus d’un motif. Enfin, pour le fond, il faut noter la réutilisation subtile, pour ne pas dire géniale, d’un vieux mythe juif (et avant cela indo-européen, puis gnostique : le mythe juif s’étant vraisemblablement forgé dans l’Egypte gnostique du début de notre ère) : celui de l’Adam Kadmon. Mais je m’abstiendrai d’en dire plus sur ce cas : cela ne ferait qu’en dévoiler trop sur l’intrigue finale. Et tout cela pour servir une galerie de portrait d'adolescents crédible, même si l'on devine assez vite que ceux-ci sont hors-normes.

Notons tout de même pour achever cette note quelques petites incohérences sur la fin du roman (des médicaments qui n’ont pas de péremption, par exemple), mais qui ne portent pas à conséquence.

Bref, Idlewild s’avère être un très bon choix pour inaugurer « Nouveaux Millénaires », la nouvelle collection de chez J’ai lu, avec un auteur inconnu mais qui prend tout de suite sa place parmi les bons.