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01/01/2013

René-Jacques Victor - Les Doigts du hasard

Mais qui est donc René-Jacques Victor? Un parfait inconnu, visiblement puisque celui-ci semble n'avoir signé qu'une nouvelle dans l'anthologie Complots capitaux publiée en 2008 au Cherche-Midi, et un petit recueil de nouvelles, en 1976, au Masque SF, Les Doigts du hasard. A moins qu'il ne s'agisse du pseudonyme connu par ailleurs... J'ai posé la question à quelques savanturiers, sur Facebook. Le nom de Gabriel Jan a été évoqué. J'ai moi-même pensé un temps à Jacques Hoven. Rien de bien sûr...

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Les Doigts du hasard contient six nouvelles, très hétéroclites, et qui semblent avoir été écrites sur un laps de temps très long. La première, Jlee, une histoire de naufragée extraterrestre qui finit par épouser un terrien et fonder une famille, sonne très pulp, très années 40/50. Un texte pas vraiment transcendant, vieillot voire poussiéreux. Le deuxième, Chut... chut... chut..., fait plus science-fiction française des années 60 avec ses airs de romans colonial. Les Terriens ont établi des concessions minières sur un monde hostile habité par une poignée d'indigènes hermaphrodites qui, eux, semblent amicaux. Pourtant des employés disparaissent régulièrement, et l'un d'eux est même changé en statue. Un médiocre policier est envoyé pour résoudre l'énigme. Une nouvelle maladroite, mal construite, avec des sautes inexplicables dans l'intrigue. Passons. Le niveau est à peine plus élevé avec Ambassadeur, encore une histoire coloniale, mieux construite, mais à l'humour un brin prout prout caca qui fait tout juste sourire.

Et puis subitement, trois nouvelles qui elles semblent bien dater des années 70. Et qui sont remarquables.

Dans L'Ange au bout de la piste, nous suivons les investigations d'un employé chargé d'enquêter sur des mystérieuses apparitions que voient un petit garçon de dix ans et sa grand-mère, qui habitent tous deux un pavillon situé en bout de pistes de l'aéroport d'Orly. L'enfant voit des géants qui avalent les avions, mais aussi des anges. Mieux: la grand-mère a réussi à arracher quelques plumes à l'un d'eux. Le portrait psychologique de l'enquêteur est remarquable et la progression dans l'angoisse parfaite.

Une Rose au coeur d'une montre est sans doute le chef-d'oeuvre du recueil. Il y a trois cent ans, un vaisseau s'est écrasé sur un monde océanique, et seule une poignée de survivants a pu atteindre une île, malheureusement isolée de tout par des vents aléatoires et de forts courants. Pourtant, régulièrement, de hardis marins tentent de rejoindre l'épave du vaisseau, histoire d'en ramener de précieux documents. Mais jusqu'ici aucun n'a réussi, aucun avant la folle tentative du jeune Helberg. Un récit fort, au croisement du Village de Kir Boulytchev (mais qui connaît ce roman en France?) et de Windhaven de George Martin et Lisa Tuttle.

Le recueil se conclut avec La Vieille maison dans les bartas, une nouvelle dont l'inspiration est assurément l'oeuvre de Clifford Simak. Et ici la copie est au niveau du modèle. Un écrivain parisien en vogue décide de s'installer en pleine cambrousse, du côté de Saint-Affrique, avec sa maîtresse du moment, dans une vieille masure sans électricité. Mais la maîtresse en question disparaît de temps en temps, pour réapparaître subitement, comme si de rien n'était. Et si la maison n'était finalement qu'un poste d'observation temporel?

Au final, rien que pour ces trois nouvelles, ce petit recueil vaut la peine d'être lu.

31/12/2012

Robert Silverberg - Les Vestiges de l'Automne

Je suis longtemps resté un grand fan de Robert Silverberg, ou tout au moins de ses romans des années 1968-1976. Et puis il y eu Le Château de Lord Valentin et toutes ses suites, une abominable série soporifique à mourir dans laquelle Silverberg abandonnait toute imagination pour mieux remplir son porte-feuille. Bref, pendant une vingtaine d'année, Robert Silverberg fut mort.

Et puis il y eut Le Grand silence, et Roma Aeterna. Pas nécessairement des grands romans, mais de bons romans, plus personnels, plus soignés et intelligents. Aussi n'avais-je guère de crainte en ouvrant des Vestiges de l'automne.

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Cette novella est en fait ce qui reste d'un projet de troisième tome d'une série entamée par A la fin de l'hiver et La Reine du printemps, une trilogie qu'il ne put jamais achever réellement pour de bêtes questions de droits. Puis finalement Silverberg reprit son synopsis (publié dans ce volume même en bilingue) et le développa en une histoire indépendante, quoi que se plaçant dans le même contexte.

Il y a fort longtemps, des milliers d'années, des comètes se sont écrasées sur la Terre, mettant fin à une civilisation brillante, mêlant divers races dont les Humains. Ceux-ci, qui n'ont pas survécu à la catastrophe, se sont cependant créés des héritiers issus des singes: le Peuple, qui resta longtemps préservé dans des cocons souterrains. Les Vestiges de l'automne nous présente la renaissance du monde. Le Peuple s'établit un peu partout, crée des villes, noue des contacts avec les Hjjks, insectes intelligents seuls rescapés de la chûte des comètes. Seuls rescapés? Plus vraiment, car un rapport montrant qu'une colonie de Seigneurs de la Mer a survécu au long hiver arrive sous les yeux d'une jeune archéologue qui se lance aussitôt à leur recherche.

La trâme de ce récit date des années 80, le creux de la vague donc pour Silverberg, et cela se sent. On n'y retrouve guère la flamme des années 70, dans une histoire post-apocalyptique cependant originale. Toutefois, l'auteur a de la bouteille. Il sait conter, ce qui n'est pas donner à tout le monde. Et si l'on sent bien que finalement ces Vestiges de l'automne sont aussi des vestiges littéraires, incomplets, imparfaits, il n'en reste pas moins que leur lecture est agréable, et pour le coup recommandable, pour les longues soirées d'hiver.

Caza - Le Jardin délicieux

Je lis actuellement peu de BD. Bien moins que par le passé, en tout cas. C'est trop cher et trop vite lu, et souvent trop peu original. Bien souvent les scénaristes affichent un train de retard par rapport aux romanciers (le travers est d'ailleurs le même pour le cinéma), et rares sont les dessinateurs actuels à avoir un style propre.

Aussi est-il assez curieux que j'aie pris le risque de commander celle-ci, Le Jardin délicieux, de Caza, sans même la feuilleter ni la tenir en mains. Et pour cause: elle n'est disponible qu'en ligne, sur le site de l'auteur où l'on peut l'acheter soit en numérique, soit en tirage papier traditionnel. Mais voilà, c'est Caza. Si je n'ai pas toujours apprécié son travail d'illustrateur de SF, loin s'en faut, je reste un fan inconditionnel de ses BD, et notamment des plus courtes, celles publiées par exemple dans Métal Hurlant ou Pilote, dans lesquelles il fait souvent preuve d'humour, de satire, en développant pourtant un fond sérieux, avec un style poétique, parfois à la limite du surréalisme. Il en a d'ailleurs réédité quelques unes dans un ebook fort sympathique, Les Montres du placard.

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Le Jardin délicieux (de son titre exact: Les aventures d’Adam et Eve au jardin d’Eden, avec tous les détails croustillants, racontées d’après le livre des livres (la Bible), récit agrémenté de quelques fantaisies apocryphes (avec du poil), par le Pr. Grandjardin, Maître de circonférence à la Faculté Cérébrale d’Athéologie Paranoïde de Gnôthi-Seauton), en revanche est une oeuvre créée en 2011-2012 et, de l'aveu même de Caza, refusée par les éditeurs. Du Caza refusé. Voilà une chose que je pensais difficilement envisageable. Tant pis pour eux. Quoi qu'il en soit Caza s'est donc pris en main et s'est auto-édité.

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Et l'album dans tout ça? Eh bien il est remarquable. Caza fait le choix de faire du neuf avec du vieux, du très vieux même. Le livre I de la Genèse. Mais pour cela, il nous réécrit cette histoire en en montrant toute l'absurdité. Aussi Dieu est-il présent comme un gros bébé monoculaire qui fait mumuse dans son bac à sable. Et qui crée, juste parce qu'il s'ennuie. Evidemment, la création en question ne peut que s'ennuyer, surtout si elle est incomplète et qu'on la dote d'une prise mâle sans la prise femelle qui va avec. Bref, Adam s'ennuie à son tour, et malgré la présence de Dalila la chèvre, se retrouve à jouer tout seul avec sa prise mâle. De l'ennui arriveront les ennuis. Lilith, d'abord. Ici commence une série de pages somptueuses qui nous rappellent que tout humoristique qu'elle est, cette BD est sérieuse. Puis Eve. Et quelle Eve! Une femme libre, et qui libère aussi Adam. Caza nous montre par a +b (mais fallait-il en être convaincu), que si le mal frappe l'humanité, il est un peu vain d'accuser le libre arbitre donné à l'Homme quand c'est Dieu lui-même le responsable de tout cela.

Dire que le dessin m'a plu serait faible. C'est à la fois naïf et stylisé, et en même riche, colloré, gai même. Un dessin qui fait du bien à l'oeil, qui rafraîchit. Difficile du coup de croire son auteur, comme il nous l'explique dans cette vidéo (en tenue d'Adam), qu'il ne s'agit que d'une improvisation:


Caza - Le Jardin Délicieux - BD 64 pages couleur... par PhilippeCAZA

A moins évidemment qu'il ne s'agisse d'une improvisation de maître.

L'album peut se commander ici!