23/05/2011
Thomas Day - Daemone
Ca devait être en 1998 ou 99, je crois, de mémoire. Je faisais mon premier festival de SF, tenant un stand pour un obscure que fanzine que j'avais créé, avec Geoffrey Bansard (maintenant membre éminent de l'excellente association Rouenzine).
J'étais alors venus avec deux objectifs: faire signer à chaque auteur sa nouvelle dans Escales sur l'horizon. Et savoir si enfin, quelqu'un allait publier un recueil de nouvelles de Thomas Day. Du premier objectif, on s'en fiche, d'autant plus que je ne l'ai pas atteint. Quand au second, j'ai fini par tomber sur quelqu'un qui m'a gentiment dit: « demandez à Gilles Dumay ». Là, j'ai été bête, Gilles Dumay, je ne savais pas qui c'était. Du coup, je n'ai pas osé et c'est ballot.
Et l'année d'après, je coupais (momentanément) les ponts avec la SF, trop pris que j'étais par mon travail. Il a donc fallu que je rate Sympathies for the devil (je me suis rattrapé depuis), et surtout un premier roman de SF, Les Cinq derniers contrats de Daemone Eraser, publié au Bélial'. Et lorsque je me suis remis à la SF et à la fantasy, que j'ai osé relire du Thomas Day, ce fut avec La Cité des crânes (Le Bélial'), La Maison aux fenêtres de papier (Folio SF) et This is not America (ActuSF). Autrement dit du Thomas Day de l'époque de la maturité. Mais était-ce le même que celui de mon souvenir, celui dont on disait qu'il n'était que violence et sexe, un post-ado aux histoires sombres, poignantes, écoeurantes et belles à la fois? Pour vérifier cela, autant se jeter sur ce Daemone, version partiellement réécrite, augmentée des Cinq derniers contrats... Pourquoi celui-là, et non des textes réellement de cette époque? La peur de les relire, peut-être. On verra.
Daemone Eraser est en fait le pseudonyme de David Rosenberg, un gladiateur. Un tueur donc? Pas forcément, puisque dans cet univers, il est possible de graver sur « marbre » l'esprit des gens, et donc de les recharger dans un corps synthétique après leur mort. Pour le coup, David ne tuerait pas réellement. Il explose, tranche, massacre dans l'arène, mais pas vraiment. Même s'il doute sincèrement de lui-même. Il est en effet déjà mort, une fois. Et cette première mort est aussi celle de sa femme, enceinte, et qui n'a pas supporté ce choc. Elle est depuis placée dans une cuve au coeur de l'immense appartement de son mari. Finalement, le synthétique, maintenant quasi-invincible dans l'arène, est-il le même que le David Rosenberg d'avant sa première (et unique) défaite?
Daemone Eraser, personnage tourmenté – le romantique idéal – va se faire proposer un contrat par un Guerrier du Temps, un extraterrestre ayant le pouvoir d'explorer tous les univers possibles, et donc d'emmener Rosenberg dans une réalité où c'est lui qui est mort, et sa femme vivante. Mais pour cela, il devra tuer cinq personnes. Et de gladiateur, devenir tueur à gage.
À partir de là, de contrat en contrat, Thomas Day va nous faire suivre le cheminement mental qui conduira David Rosenberg à comprendre ce qu'il est, et ce qu'il veut réellement. Un questionnement qui est au coeur du roman, lequel n'est pourtant pas qu'une introspection métaphysico-existentielle poussant à demander « avais-tu déjà regardé le plafond, Anya? »
Ici, ça bouge dans tous les directions, et les réflexions ne font sens que parce qu'elles induisent une modification comportementale des personnages, essentiellement Daemone et sa garde du corps Kimoko. On a la une belle machinerie bien huilée: le livre, il faut bien l'avouer, se lit d'une traite, et procure un plaisir jouissif. Et quid de la violence et du sexe, dont on dit un peu partout que l'oeuvre de Thomas Day en est farcie. Du sexe, non, ou si peu: on en parle plus qu'on en jouit. Quant à la violence, elle tient plus de l'action. Quelques trucs bien trash ici ou là, mais on a vu pire ailleurs. Daemone est un très bon roman d'aventure, tout simplement. En cela, plutôt que d'aller chercher des références dans le western ou un éventuel cinéma de série B (références certes revendiquées par l'auteur), j'ai presque envie de le rapprocher de certains des meilleurs romans de Jean et Doris Le May (Les Hydnes de Loriscamp me vient à l'esprit aussitôt) ou de Louis Thirion (là encore, c'est Sterga la Noire qui s'impose). Du space opera français des années 70, donc. De ces petits romans qu'on avale à toute vitesse, mais dont on finit par se souvenir.
Toujours.
13:44 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (1)
20/05/2011
Serge Lehman - Le Haut-Lieu et autres espaces inhabitables
Étrange bouquin que celui-là. Mise bout à bout de diverses nouvelles piochées au sein d'une bibliographie abondante, Le Haut-Lieu et autres espaces inhabitables (2008, Denoël, "Lunes d'Encre"), de Serge Lehman, possède pourtant une cohérence remarquable: il n'y est question en général que des angoisses d'un homme et de la transformation induite de sa perception de l'univers. Je sais qu'il est bien dommage de commencer une critique de recueil par ce qui semble en être le lien, mais je ne vois pas comment faire autrement.
Le Haut-Lieu est donc un livre étonnant. Pourquoi?
Peut-être déjà parce qu'il est du genre à faire fuir les amateurs de space opera pétaradants et de fantasy au kilomètre. Le type même de la bête rare chez les grands éditeurs de nos jours. On se demande même bien d'ailleurs, à quel genre peuvent donc appartenir ces six textes? Ni la science-fiction, ni clairement le fantastique. Et pour cause, puisque le premier nom qui vient à l'esprit à la lecture de ces textes est celui de Jorge Luis Borges. Et chez les modernes, peut-être Kelly Link (comme par hasard au catalogue du même éditeur). Les univers qu'explorent les six héros de ce livre (si tant est qu'on puisse les appeler ainsi) peuvent être aussi bien extrêmement intimes (Le Haut-Lieu, cet appartement si étrange qui se pétrifie et diminue petit à petit son espace habitable) qu'universels (La Régulation de Richard Mars, personnage à la fois homme, dieu et "rat"). Mais ils ont en commun le fait d'être tout autant familiers du lecteurs qu'étranges, déstabilisants. Une étrangeté qui génère une certaine froideur, une distance qui bloque toute empathie. On peine à s'identifier aux personnages. Sans doute n'est-ce pas non plus nécessaire. Je ne sais pas. Je suis perdu. Un peu comme ces archivistes d'un univers parallèles qui exploitent des mines remplies de nos oeuvres d'art (Superscience).
Alors quoi? Est-ce mauvais, ce Haut-Lieu? Oh, que non. C'est puissant. Déconcertant mais puissant. Peu d'auteurs peuvent développer de nos jours des choses aussi ambiguës, jouant sur les paradoxes. Peu d'auteurs peuvent créer avec des mots des images aussi étranges que celles du Gouffre au chimères (où la vie d'un homme apparaît sous l'aspect d'une bibliothèque qui emplit sa maison) ou que celles d'Origami (où comment faire plier l'univers à la manière d'un origami par une vingtaine de pseudo-clones d'un même savant). Au final, la seule chose qui empêche d'être pleinement satisfait de ce recueil reste la nouvelle, heureusement courte La Chasse aux ombres molles, qui n'est qu'une bonne blague, sans plus, sur le monde de l'entreprise, clairement en-dessous des autres textes.
Ah, et vous ai-je dit que la couverture de Daylon est formidable? Non?
16:25 Publié dans Film, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (0)
19/05/2011
Nancy Kress - Feux croisés
Et voilà... presque deux semaines de laisser aller, et du coup, quelques livres lus et par encore chroniqués. On va donc essayer de rattraper le retard. En commençant par une mauvaise expérience: Nancy Kress, Feux croisés, 2009, Fleuve Noir (« Rendez-vous ailleurs »).
Le postulat de base m'intéressait, même s'il est particulièrement classique (au point d'être repris par Bernard Werber, c'est dire si c'est rebattu!). 6000 personnes embarquent à bord de l'Ariel, un gigantesque vaisseau armé par une compagnie privée dans le but de fuir une Terre mourante (l'effet de serre est maintenant irréversible) et d'aller coloniser un monde à priori vierge. En dehors de quelques militaires embauchés tout exprès, et d'une poignée de scientifiques payés par une mystérieuse fondation, tous sont pleinement volontaires pour ce voyage sans retour, et pour lequel ils ont payé fort cher (un modèle économique qui est ni plus ni moins que celui de Virgin Galactic). Bref, après un voyage passé essentiellement en hibernation, tout ce petit monde arrive sur la planète promise, à l'écosystème particulièrement favorable à la colonisation. Sauf que extraterrestres y habitent déjà. Et semblent venir d'ailleurs.
Et là patatras... Après un bon début, Nancy Kress se révèle incapable de bâtir un roman moderne digne de ce nom. Les événements s'enchaînent à toute vitesse, ce qui n'est pas un défaut en soi, mais selon une logique linéaire. Et le tout est encombré de personnages si nombreux qu'au final aucun n'est doté d'une psychologie suffisamment développée qui aurait pu permettre de s'y attacher un minimum. On reste dans le superficiel. Bref, Nancy Kress a écrit un roman de SF des années 50, et encore. Cela n'est pas un mal en soi, du moins pour moi qui suit un amateur de SF ancienne, si elle n'avait essayé de maquiller ce récit vieillot à la manière du Nouveau Space Opera, autrement dit en entrelardant son récit d'oripeaux scientifiques. Je dis bien oripeaux et non justifications, car ces digressions, fort mal intégrées au texte, sont non seulement pénibles mais en plus de cela absolument pas crédibles. Entendons-nous bien: je me fiche qu'un auteur s'attarde à m'expliquer comment fonctionne une serrure chaque fois qu'un de ses héros ouvre une porte. La hard science me sort la plupart du temps par les trous de nez. Mais lorsque Nancy Kress nous montre une gentille paléontologue affirmer que les Velus (les premiers ET du roman) ne pas originaires de ce monde parce qu'on n'y trouve pas de fossiles d'eux, alors qu'elle-même n'y est présente que depuis trois mois et n'a sondé qu'un seul site, il ne faut pas se moquer du monde!
Bref, arriver à la fin de ce livre fut presque un calvaire. Et dire qu'il ne s'agit que du premier d'une trilogie!
11:21 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (1)