06/09/2011
Jack Vance - La Vie éternelle
Honte sur moi, je n'ai pas lu La Vie éternelle, de Jack Vance, dans la traduction récente de Gilles Goullet, parue en 2004 dans Emphyrio et autres aventures (Denoël, Lunes d'Encre), mais dans celle de Françoise Maillet, parue en 1980 au Masque Science-Fiction. J'aurais sans doute dû, car à la lecture de la chose, il m'a semblé, en dehors d'une multitude de phrases mal tournées et écorchant singulièrement la syntaxe française, qu'on passait parfois un peu trop vite du coq à l'âne, bref, que les fameux ciseaux dont étaient armés les éditeurs des années 60-70 avaient encore frappé. Un soupçon vite confirmé en consultant la Noosfère, où il est mentionné que la réédition de cet traduction chez Pocket en 1987 avait été révisée.
Mais peu importe, je ne prendrais pas la peine de relire une deuxième fois ce roman avant quelques années, autant vous en parler quand même.
La Vie éternelle est un étrange roman, surprenant au sein de la production de Vance, auteur qu'on a plus coutume d'associer au planet ou au space opera. Il s'agit en effet d'une dystopie, et des plus curieuses.
En un futur indéterminé, la science a fini par donner à l'Homme ce qu'il souhaite depuis toujours: l'immortalité. Ou du moins une forme d'immortalité. L'immortel est doté de tout une série de clones qu'un lien empathique identifie à l'original, seul à être actif dans la société. Que l'actif vienne à mourir et un clone (un substitut) prend aussitôt son relais. Mais cette avancée scientifique ne fut pas sans conséquence: luttes sociales, surpopulation, tout cela plongea le monde dans l'ère du chaos, et il ne subsista alors qu'un seul îlot de civilisation, la Contrée.
La population de la Contrée s'est volontairement pliée à un système de castes très stricts, permettant de maintenir le niveau de population en adéquation avec les ressources et la production du pays. Chaque classe est caractérisée par une espérance de vie de plus en plus grande, la classe ultime étant bien sûr celle des immortels, sachant que l'accession à l'immortalité d'une personne entraine mathématiquement le racourcissement de la vie de 2000 autres. Passer d'une caste à l'autre relève de l'exploit, et seul une carrière exemplaire et productrive peut permettre d'y arriver. Ce système, basé sur l'émulation avec pour carotte la promesse de l'immortalité, est maintenu en place par un corps de fonctionnaires spécial, celui des Assassins, chargé d'extraire de la société les personnes dont le temps de vie s'achève.
Grayven Waylock est un immortel. Du moins en était-il un jusqu'à ce qu'il ait eu le malheur d'en tuer un autre. Un acte à priori sans conséquence, si ce n'est que la justice a décidé de faire de lui un exemple et de le livrer aux assassins. Par chance, il en échappe et parvient à rester caché durant sept ans, délais légal pour qu'un de ses substituts puisse revendiquer sa place dans la société. Il ressort donc au grand jour et décide de se faire passer pour un substitut, Gavin. Et Gavin Waylock est ambitieux. Par tous les moyens il va chercher à retrouver sa place au sein des Immortels, quitte à mettre en péril le système tout entier.
Voilà un roman bien ambitieux. Mais aborder le thème de la dystopie est toujours ambitieux, quelque part, tant il est difficile de faire du neuf sur ce sujet. Vance, qui écrit en 1956, y parvient. Sa société basée sur une stricte approche statistico-économique est originale, surprenante sous bien des aspects, même si l'on peut toutefois relever un obstacle majeur: il faut songer que pour que cela fonctionne, les gens doivent aller d'eux-mêmes à la mort, accepter que l'Assassin entre chez eux, lorsque leur temps est arrivé. Mais dans un système où tout le monde est en parfaite santé, qui accepterait cela?
Justement personne. Durant 300 ans, la Contrée fonctionne, prospère... et stagne en même temps. Une stagnation qui provoque elle-même chez de nombreuses personnes une maladie psychologique nouvelle, une forme de catatonie entrecoupée de crise de fureur; signe que la société tout entière est malade.
Vance, dont c'est-là un des premiers romans, écrit sous l'influence d'Orwell (et le revendique, en nommant la salle où sont enfermés les malades les plus atteints "salle 101"), mais il ne parvient toutefois pas à donner la même solidité socio-politique à son système dystopique qu'Orwell avait sur le faire dans 1984. De même on est parfois surpris de voir Gavin Waylock maneuvrer en toute impunité et changer de travail comme de chemise sans aucune difficulté (un artifice qui permet à l'auteur de faire le tour de la société).
Alors il compense, en créant des personnages hauts en couleur, en perdant le lecteur dans des descriptions de lieux à la fois chatoyants et sordides. Au final La Vie éternelle est un petit roman, loin du chef-d'oeuvre, mais dont la lecture intéressante et peu propice à l'ennui.
14:21 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (0)
01/09/2011
Leigh Brackett - Le Grand Livre de Mars, t. 2
Chose promise, chose due. Le tome 2 du Grand Livre de Mars, de Leigh Brackettest donc avalé, et il m'a fait grand bien.
Tout commence par un court roman, Le Peuple du talisman, dans lequel Stark, afin d'honorer une promesse faite à un ami, se rend dans une citée du grand nord pour lui restituer un talisman que l'ami en question a volé durant sa folle jeunesse. Ledit talisman étant d'ailleurs la chose sensée protéger les villes, les nobles locaux s'étaient empressés de le remplacer par un faux. En route, Stark croise l'armée qu'un étrange personnage nommé Ciaran, au courant de la disparition du talisman, soulève afin d'attaquer la ville. Stark échappe à Ciaran et parvient à son but. Mais il n'est malheureusement pas très bien accueilli: il préfère donc garder le talisman caché, et même s'il prévient tout le monde qu'une armée de barbare est en marche, il préfère attendre que les choses se passent plutôt que de restituer l'objet et de voir comment il agit.
Confus, tout cela? Non, pas du tout. Brackett, je l'ai déjà dit pour le tome précédent, est un écrivain dont la plûme s'est bonifiée avec les années. Elle nous produit-là un récit passionnant, riche en rebondissements. Stark reste un personnage ambigu. On hésite même parfois à le détesté tant il peut être buté sur ses principes. Bref, un personnage qui n'est en rien fade.
Pourtant il n'apparaît pas dans les cinq nouvelles qui suivent. Brackett nous livre dans celles-ci différents tableaux de la mise en contact de Mars avec les Terriens. Une mise en contact qui n'est pas une colonisation, mais qui ressemble plutôt à ce qui a pu se passer au Proche et Moyen Orient, en Egypte par exemple. Et l'on en retiendra cette belle morale sur ce qui oppose Martiens et Terriens, que l'on peut résumer ainsi: "nous sommes ignorants parce que nous avons tout oublié; vous l'êtes parce que vous avez tout à apprendre".
Ces cinq nouvelles donnent une couleur plus sombre à l'ensemble, et si certaines ne sont guère originales (Le Jardin du shanga), d'autres comme La Malédiction de Bisha sont de petits bijoux.
14:12 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (1)
26/08/2011
Leigh Brackett - Le Grand Livre de Mars, t. 1
Eh oui, il m'arrive de lire de la fantasy... si si, d'autant plus quand il s'agit en fait de science-fiction (et paf pour les étiquettes!).
De Leigh Brackett, j'avais déjà lu il y a quelques années dans la célèbre collection d'Opta, le CLA, Alpha ou la mort, suivi surtout de Le Recommencement, deux très bons romans. Et avant cela, j'avais fait connaissance avec le héros Eric John Stark, en lisant, à la fin de mon adolescence, la trilogie de Skaith dans l'édition pourtant hideuse d'Albin Michel en 1987. Si je ne me souviens plus trop de l'histoire, je me souviens encore de ce personnage, Stark, et de ce monde mourrant aux décors si flamboyants.
Et là, en 2008, le Bélial' a la bonne idée de regrouper tout ce que Brackett avait écrit sur la planète Mars, et donc des textes antérieurs, avec le même personnage. Angoisse. Je ne suis plus adolescent, allais-je encore aimer? De tergiversations en manque de fonds, je me suis finalement décidé à la sortie en poche de la chose, en deux tomes chez Pocket. Et le premier fut lu en tout juste trois jours.
Le tome 1, donc, contient deux romans. Eh oui. En 314 pages, deux romans. Nous parlons donc du bon temps où l'on pouvait sans crainte acheter un livre: s'il s'avérait mauvais, on avait juste le regret d'avoir perdu quelques heures sur 200 pages maximum, à la différence de maintenant où l'on peut maudire l'éditeur pour les 600 pages délayées à 35€. Passons.
Deux romans, donc. D'abord, L'épée de Rhiannon, dont le héros n'est pas Eric John Stark, mais Matt Carse. Carse est prétendument un archéologue, en fait plutôt un aventurier érudit, en fait un aventurier tout court car Brackett ne nous livre absolument aucun détails sur son passé. Officiellement publié en 1953, ce roman porte en fait la marque des années 40. Il va à l'essentiel: dès la première page l'auteur nous entraîne dans l'action. Autant dire que l'on ne tient pas là une grande oeuvre littéraire, mais quelque chose d'efficace, qui en trois mots vous met dans la tête un paysage, et surtout enchaîne les péripéties, parfois de façon artificielle (les Sarks pensent détenir un espion, et au lieu de l'interroger, ils l'envoient directement aux galères...). Bref, un roman distrayant, sans plus, pas encore du grand Brackett.
D'une tout autre trempe est Le Secret de Sinharat. Stark est un mercenaire terrien, élevé toutefois chez des sauvages de Mercure (oui, chez Brackett, toutes les planètes ont leur humanité propre). Aventurier sans scrupules, sa seule valeur fondamentale est la liberté, et à ce titre il préfère lutter contre l'asservissement des peuples, fussent-ils d'affreux barbares du désert. Convoqué par Delgaun de Valkis, un potentat local, pour participer à l'entrainement d'une armée de sauvages qui rêvent de conquérir le monde, Stark, rattrapé par un passé qui risque de l'emmener en prison, doit en même temps jouer la carte d'agent terrien et donc faire en sorte que ces projets belliqueux n'aboutissent pas.
Et l'on tient là un grand roman. Non pas par la taille, donc (114 pages!), mais par le fonds, le style, tout. On retrouve la qualité de Brackett a dépeindre une ambiance et une situation en trois mots, mais elle a su en plus donner de l'épaisseur à Stark, une épaisseur que d'autres auteurs soit disant plus modernes ne parviennent à donner à leurs personnages qu'au bout de 5 ou 6 tomes. Bref, Stark est le genre même à faire plonger Elric dans une oubliette, et Michael Moorcock fait justement preuve d'une grande honnêteté dans sa préface en avouant tout ce qu'il doit à Leigh Brackett.
Le Secret de Sinharat, c'est Eric John Stark, mais aussi une Mars fantasmée, superbe et sauvage, où les hommes sont des guerriers, et les femmes sublimes et donc nécessairement vénéneuses. Caricatural, me direz-vous? Oui, mais on s'en fiche. Car il s'agit-là de condensé de sense of wonder.
Alors rien que pour cela on pardonnera à Pocket la mention de "par la scénariste de L'Empire contre-attaque" et au Bélial', l'éditeur originel, la préface de Moorcock, sympathique, mais qui n'est finalement qu'une liste informe d'auteurs qui auraient été influencés par Brackett: d'elle on n'apprendra finalement rien dans cette préface. On leur pardonnera, donc, si ces deux références maintenant autrement plus prestigieuses peuvent faire revenir du monde à la lecture de Leigh Brackett.
Quand à moi, le tome 2 m'attend, puis je me plongerai sans doute dans Les Océans de Vénus, avant de revenir en pèlerinage sur Skaith.
10:35 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (1)