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05/06/2011

Philippe Ward - Mascarades

Fichtre... Encore parler de mon éditeur... Je m'en fiche, ce ne sera pas de la publicité déguisée. Il le sait, d'ailleurs. Mais là, il vous faudra me croire sur parole que je ne fais pas de la propagande gratuite, car Mascarades est un bon roman.

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Il s'agit en fait d'une réédition, par les éditions basques Aïtamatxi, d'Irrintzina, paru en 1999 chez Naturellement. Et donc du premier roman de Philippe Ward, avec un sujet pas facile d'emblée: le Pays Basque et son mouvement indépendantiste. Pas évident de caser cela dans un roman fantastique. Tout commence alors que l'ETA parvient petit à petit à abandonner l'action "militaire" (je mets volontairement militaire en guillemets, puisqu'il ne s'agit que de terrorisme), et que des négociations avec les plus hautes autorités espagnoles s'annoncent. Or c'est précisément-là qu'une série de meurtres touche les milieux indépendantistes. Qui plus est, le meurtrier semble prendre plaisir à se déguiser en créatures de carnaval. Au grotesque du costume, s'ajoute une sauvagerie inimaginable, d'autant plus que le tueur semble être insensible aux armes à feu.

Un homme de l'ombre, Mikel Bake, libraire de son état, mais aussi principal artisan des négociations, va tenter de mener l'enquête et de savoir qui donc voudrait une guerre ouverte quand tout montre que la paix veut s'installer.

Mascarades est un premier roman, je l'ai dit, et il en a les défauts: quelques maladresses dans les scènes d'action (des répétitions, notamment), un manque de diversité réel des personnages, qui sont tous basques (et les Basques sont des surhommes, d'une fierté à leur donner des chevilles grosses comme la lune). Mais ses défauts sont finalement peu de choses face à une intrigue pour le moins originale, dans un contexte peu courant. Peu de gens peuvent se targuer de connaître réellement le Pays Basque. Et si Philippe Ward multiplie à l'envie les références culturelles, il le fait sans didactisme: elles viennent naturellement, sont expliquées comme si de rien n'était, d'autant plus facilement que - et l'auteur le note bien - les Basques eux-mêmes tendent à oublier leurs propres traditions, qu'il faut leur remettre en mémoire.

Deuxième défi de taille, et qui là, relève de la narration: Philippe Ward a choisi de dévoiler très vite qui est "l'ennemi", "le méchant". Le lecteur sait, le héros ne sait pas. Or, peu d'auteurs peuvent se vanter de savoir maintenir un semblant de suspense dans ce type de cas de figure. Or lui s'en sort à merveille, parvenant à produire un roman passionnant qu'on lit d'une traite, idéal pour s'installer le soir au chaud dans un fauteuil et se détendre.

Nick Sagan - Idlewild

 

Halloween – un surnom bien sûr – est un adolescent. Il devrait bientôt avoir dix-huit ans. Intelligent, pour ne pas dire brillant, il doit pourtant suivre les cours d’un institut particulier, dédié officiellement à l’enseignement auprès d’enfants difficiles. Curieusement, il s’agit d’un institut médical. Et il n’y a que dix élèves. Cinq filles, autant de garçons.

Un jour, Halloween se réveille au milieu d’un champ, amnésique, et avec pour seule certitude : il a tué Lazare, un des autres garçons. Et très vite on découvre que les dix adolescents sont en fait plongés pour l’essentiel de leur temps dans un univers virtuel, éducatif, dans lequel chacun s’est créé son propre domaine et dont le centre est l’école. L’ensemble est gouverné par deux programmes, Nanny, qui fait office de bonne à tout faire, et Maestro, le professeur, copie du directeur de l’institut. Mais les choses ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît. D’un roman sur une réalité virtuelle à deux niveaux, tel qu’on a en déjà lu beaucoup, on passe à trois, et cette troisième réalité, inattendue, est pour le moins effrayante.

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Premier roman de Nick Sagan, Idlewild est une belle surprise. Sans être un chef-d’oeuvre, il est toutefois original et mené de main de maître. Il faut dire que Sagan est bien connu comme concepteur de bonnes histoires : il a déjà scénarisé une palanquée d’épisodes de Star Trek, par exemple. Mais dans l’audiovisuel, le scénariste n’apporte pas le style, qui est la part du réalisateur. Là, Sagan conçoit avec Idlewild un scénario redoutable, qui aurait pu servir de base aux meilleurs épisodes d’Au-delà du réel ou de la 4e dimension. Mais il y ajoute un choix bien senti de références. Lovecraft est abondamment cité, mais cela reste superficiel : cet auteur est juste-là comme référent à l’univers mental d’un adolescent en proie à des pulsions morbides. Si Dick est mentionné en quatrième de couverture, il faut juste le voir par l’intermédiaire du film The Matrix, des frères Wachovski : l’influence de ce film est évidente sur Sagan, qui en reprend plus d’un motif. Enfin, pour le fond, il faut noter la réutilisation subtile, pour ne pas dire géniale, d’un vieux mythe juif (et avant cela indo-européen, puis gnostique : le mythe juif s’étant vraisemblablement forgé dans l’Egypte gnostique du début de notre ère) : celui de l’Adam Kadmon. Mais je m’abstiendrai d’en dire plus sur ce cas : cela ne ferait qu’en dévoiler trop sur l’intrigue finale. Et tout cela pour servir une galerie de portrait d'adolescents crédible, même si l'on devine assez vite que ceux-ci sont hors-normes.

Notons tout de même pour achever cette note quelques petites incohérences sur la fin du roman (des médicaments qui n’ont pas de péremption, par exemple), mais qui ne portent pas à conséquence.

Bref, Idlewild s’avère être un très bon choix pour inaugurer « Nouveaux Millénaires », la nouvelle collection de chez J’ai lu, avec un auteur inconnu mais qui prend tout de suite sa place parmi les bons.

23/05/2011

Thomas Day - Daemone

Ca devait être en 1998 ou 99, je crois, de mémoire. Je faisais mon premier festival de SF, tenant un stand pour un obscure que fanzine que j'avais créé, avec Geoffrey Bansard (maintenant membre éminent de l'excellente association Rouenzine).

J'étais alors venus avec deux objectifs: faire signer à chaque auteur sa nouvelle dans Escales sur l'horizon. Et savoir si enfin, quelqu'un allait publier un recueil de nouvelles de Thomas Day. Du premier objectif, on s'en fiche, d'autant plus que je ne l'ai pas atteint. Quand au second, j'ai fini par tomber sur quelqu'un qui m'a gentiment dit: « demandez à Gilles Dumay ». Là, j'ai été bête, Gilles Dumay, je ne savais pas qui c'était. Du coup, je n'ai pas osé et c'est ballot.

Et l'année d'après, je coupais (momentanément) les ponts avec la SF, trop pris que j'étais par mon travail. Il a donc fallu que je rate Sympathies for the devil (je me suis rattrapé depuis), et surtout un premier roman de SF, Les Cinq derniers contrats de Daemone Eraser, publié au Bélial'. Et lorsque je me suis remis à la SF et à la fantasy, que j'ai osé relire du Thomas Day, ce fut avec La Cité des crânes (Le Bélial'), La Maison aux fenêtres de papier (Folio SF) et This is not America (ActuSF). Autrement dit du Thomas Day de l'époque de la maturité. Mais était-ce le même que celui de mon souvenir, celui dont on disait qu'il n'était que violence et sexe, un post-ado aux histoires sombres, poignantes, écoeurantes et belles à la fois? Pour vérifier cela, autant se jeter sur ce Daemone, version partiellement réécrite, augmentée des Cinq derniers contrats... Pourquoi celui-là, et non des textes réellement de cette époque? La peur de les relire, peut-être. On verra.

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Daemone Eraser est en fait le pseudonyme de David Rosenberg, un gladiateur. Un tueur donc? Pas forcément, puisque dans cet univers, il est possible de graver sur « marbre » l'esprit des gens, et donc de les recharger dans un corps synthétique après leur mort. Pour le coup, David ne tuerait pas réellement. Il explose, tranche, massacre dans l'arène, mais pas vraiment. Même s'il doute sincèrement de lui-même. Il est en effet déjà mort, une fois. Et cette première mort est aussi celle de sa femme, enceinte, et qui n'a pas supporté ce choc. Elle est depuis placée dans une cuve au coeur de l'immense appartement de son mari. Finalement, le synthétique, maintenant quasi-invincible dans l'arène, est-il le même que le David Rosenberg d'avant sa première (et unique) défaite?

Daemone Eraser, personnage tourmenté – le romantique idéal – va se faire proposer un contrat par un Guerrier du Temps, un extraterrestre ayant le pouvoir d'explorer tous les univers possibles, et donc d'emmener Rosenberg dans une réalité où c'est lui qui est mort, et sa femme vivante. Mais pour cela, il devra tuer cinq personnes. Et de gladiateur, devenir tueur à gage.

À partir de là, de contrat en contrat, Thomas Day va nous faire suivre le cheminement mental qui conduira David Rosenberg à comprendre ce qu'il est, et ce qu'il veut réellement. Un questionnement qui est au coeur du roman, lequel n'est pourtant pas qu'une introspection métaphysico-existentielle poussant à demander « avais-tu déjà regardé le plafond, Anya? »

Ici, ça bouge dans tous les directions, et les réflexions ne font sens que parce qu'elles induisent une modification comportementale des personnages, essentiellement Daemone et sa garde du corps Kimoko. On a la une belle machinerie bien huilée: le livre, il faut bien l'avouer, se lit d'une traite, et procure un plaisir jouissif. Et quid de la violence et du sexe, dont on dit un peu partout que l'oeuvre de Thomas Day en est farcie. Du sexe, non, ou si peu: on en parle plus qu'on en jouit. Quant à la violence, elle tient plus de l'action. Quelques trucs bien trash ici ou là, mais on a vu pire ailleurs. Daemone est un très bon roman d'aventure, tout simplement. En cela, plutôt que d'aller chercher des références dans le western ou un éventuel cinéma de série B (références certes revendiquées par l'auteur), j'ai presque envie de le rapprocher de certains des meilleurs romans de Jean et Doris Le May (Les Hydnes de Loriscamp me vient à l'esprit aussitôt) ou de Louis Thirion (là encore, c'est Sterga la Noire qui s'impose). Du space opera français des années 70, donc. De ces petits romans qu'on avale à toute vitesse, mais dont on finit par se souvenir.

Toujours.