12/08/2011
Franck M. Robinson - Destination Ténèbres
Drôle de livre que celui-là; de par son parcours, de par son thème. Publié en France plus de 20 ans après l'édition américaine, il est donc le contre-exemple de ce qui se pratique habituellement dans le petit monde de l'édition, à savoir ne surtout pas éditer d'inédit d'un auteur inconnu ou presque datant de plus de cinq ans (trop risqué... comprenez, prendre des risques, dans l'édition, quel horreur!). Mieux, son thème lui-même, celui des arches stellaires, ou vaisseaux-générations, n'est pas des plus originaux (dès 1978, Rémi Maure, alias Jean-Pierre Laigle, pouvait en donner une belle étude dans Fiction, n°291 à 294). Il fallait donc que ce Destination Ténèbres ait quelque chose de particulier.
Or donc Moineau est membre de l'équipage de l'Astron, un gigantesque vaisseau armé il y a plus de 2000 ans, soit 100 générations, par la Terre, afin de partir explorer l'espace et tenter de découvrir s'il existe de la vie dans d'autres systèmes stellaires. Mais 2000 ans, c'est fort long. Partis 1800, les astros (c'est ainsi qu'ils se nomment eux-mêmes, ne sont plus, malgré les naissances, que 300, et deux des trois cylindres de l'engin ont finalement été évacués et abandonnés.
Seul reste inchangé le capitaine, Mickael Kusaka. Et pour cause: il est immortel, ou peu s'en faut, car on a voulu faire de lui le garant du bon déroulement de la mission. Son corps a été modifié afin de le rendre insensible à toutes maladies, de ralentir son vieillissement. Et surtout on a implanté dans son cerveau la volonté de ne rentrer que lorsqu'une vie sera découverte. Seulement voilà: rien n'a été trouvé dans ce bras de la galaxie. Le capitaine aurait alors l'idée de traverser la Nuit, le vide qui le sépare d'un autre bras plus dense en étoiles. Mais l'équipage a fait ses calculs: non seulement le vaisseau est usé, mais la baisse démographique fait qu'il n'y aura sans doute plus personne à bord lorsque l'Astron sera enfin arrivé de l'autre côté. L'heure est donc venu de la mutinerie. Mais quel rôle joue donc Moineau, un adolescent, amnésique suite à un accident sur un monde désert, et que tout le monde regarde d'un drôle d'oeil?
En voilà un étonnant roman. On ne peut pas dire qu'il s'agisse d'une grande oeuvre stylistique: Robinson est parfois un peu balourd dans sa narration, avec quelques répétitions d'un paragraphe à l'autre - quoi que l'on puisse imputer cela au fait que c'est Moineau qui est censé être le narrateur. Il a par contre l'art de mêler plusieurs genres avec aisance: roman de mer (on pense à Moby Dick, évidemment), thriller, et évidemment space opera. Et on peut même un peu, quelque part, ressentir une influence de Philip K. Dick, et se demander par moment (notamment lorsqu'il est question des observations de l'astro nommé Tybald) si l'ensemble de se vaisseau n'est pas en fait l'objet d'expérimentation par ces fameux ET qu'il est censé chercher (un sentiment accentué par le joli pied de nez que l'auteur nous fait à la dernière phrase de son roman, et par une jolie réminiscence, p. 142, du monologue final de Blade Runner, le film)! Robinson ne développe pas de sentiment d'enfermement (l'Astron est vaste, très vaste, et les falsifs, un ingénieux système de réalité virtuelle, compensent l'absence de paysage), mais réellement d'angoisse du vide.
On peut de plus sans conteste avouer qu'il fait bien preuve d'imagination. Son but n'est pas de nous livrer un roman hard science: il nous épargne fort heureusement tout le jargon scientifique qui encombre la plupart du temps les productions récentes de SF - on se contrefiche ici de savoir comment le vaisseau est propulsé, ou comment le capitaine a été traité médicalement. Car son propos est sociologique. Robinson nous décrit en détail ce que pourrait être une société isolée, en vase clôt, depuis 2000 ans et composée à la base de personnes d'origines multiples. Je ne suis pas du tout certain qu'il en aurait résulté une telle liberté sexuelle que celle qu'il nous montre (mais après tout si la sociologie était une science exacte, ça se saurait...), en tout cas sa société a le mérite d'être cohérente.
Au final, Destination Ténèbres n'est certainement pas l'oeuvre du siècle, mais un très bon roman, qui mérite vraiment le détour. Et qui surtout ne fait pas son âge, débarrassé qu'il est d'élément datants: l'oeuvre de Franck M. Robinson pourrait aussi bien avoir été écrite durant l'Âge d'Or de la SF américaine qu'actuellement: elle est autrement dit lisible par un très vaste public, et non seulement les amateurs hard core du genre. C'est ce qui fait sa force, sa qualité. Un roman qu'on relira avec plaisir dans dix ans, dans vingt ans. Qui sait dans 100 générations?
08:31 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (2)
28/07/2011
Pellé et Runberg - Orbital t. 4, Ravages
La série Orbital de Serge Pellé (dessin) et Sylvain Runberg (scénario), démarrait fort, avec trois premiers volumes franchement réussis. La Terre a été contactée par la Confédération galactique, un ensemble de plusieurs centaines de peuples extraterrestres qui, globalement, vivent pacifiquement. Mais les humains sont tiraillés entre leur envie d'intégrer cet ensemble, et des pulsions archaïques de repli sur soi. Des attentats sont menés, une guerre est lancée contre les Sandjarrs, un peuple humanoïde, qui en ressort quasi-décimé.
Mais la Terre se retrouve alors au ban de la Confédération, et Orbital nous montre les premiers progrès de ce monde au sein de cet ensemble, avec notamment l'intégration de Caleb au sein de l'ODI, organisme diplomatique servant au maintien de la paix. Premier humain de l'organisation, il se voit imposer comme partenaire un Sandjarr, un personnage au physique féminin, mais non on ne sait s'il est mâle ou femelle.
Ravages conclut la deuxième mission du tandem. On organise à Kuala Lumpur une imposante cérémonie visant à sceller la réconciliation entre Humains et Sandjarrs. Mais cette cérémonie est menacée par une vague de morts mystérieuses parmi les pêcheurs malais, morts violentes qu'il est tentant d'imputer à des extraterrestres nomades dont les rituels imposent une forme de canibalisme.
Orbital démarrait fort, disais-je: des scénarios bondissants (à défaut d'être forcément neufs), un dessin fantastique (j'adore la façon qu'à Pellé de laisser transparaître ses esquisses sous l'encrage et la colorisation, ce qui donne un caractère vivant au dessin), avec une colorisation qui n'est pas bêtement faite à coup d'aplats sous Photoshop. Bref, une BD efficace et intelligente. Mais ce tome 4 déçoit un peu. Le dessin est toujours aussi bon, mais le scénario pèche par manque de rythme. On peine à se passionner pour l'enjeu, d'autant plus que certaines planches répètent ce qui a déjà été dit ou montré dans le tome 3. Il aurait presque falu que cette deuxième mission soit ramassée en un seul gros tome de 76 pages plutôt qu'en deux de 56, ou alors que les auteurs donnent plus de détails sur leur univers plutôt que de se répéter. Dommage.
Mais un tome 5 est annoncé, et je fais confiance à Pellé et surtout Runberg pour se rattraper, car clairement Orbital peut se poser en digne successeur de Valérian, de Christin et Mézière. C'est actuellement la seule série de qualité qui puisse occuper ce créneau.
15:55 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (0)
13/06/2011
Norbert Merjagnan - Treis, altitude zéro
Il faut bien l'avouer, pour moi qui suit handicapé littéraire, à savoir qui ne se souvient que de la trâme et de l'ambiance d'une oeuvre, et non des mots, entamer la lecture de Treis, altitude zéro fut comme un accouchement aux forceps. Il faut dire que trois ans se sont écoulés depuis la parution des Tours de Samarante. Trois ans... quand on a affaire à une oeuvre aussi stylée que celle-là, c'est long. D'autant plus que Norbert Merjagnan ouvre Treis, altitude zéro, qui est la suite immédiate des Tours..., en faisant intervenir d'emblée de nouveaux personnages. Un défi, donc.
Et puis au bout de quelques pages, le charme opère à nouveau. On se retrouve happé par cet univers étrange, dont on ne saît vraiment où il se trouve. Norbert Merjagnan, usant d'une langue économe et pourtant remarquablement belle, a le don de planter un décor en trois lignes. Quelques mots toujours bien sentis, et nous voilà au coeur de l'Aliène, ce désert qui sépare les villes de Mirande. Et comme Oshagan et Cinabre, on se réveille au milieu de cette caravane guerrière, dont le maître se propose de sauver Samarante de l'invasion des Borgs; des millions de machines qui menacent de déferler sur la ville où nos deux héros viennent tout juste d'être condamnés, suite au canarge opéré par Oshagan. Mais Cinabre a vu que Samarante sera détruite, aussi tous deux décident finalement de vaquer à leurs propres affaire. Joti, la petite soeur d'Oshagan, serait vivante. Aussi leur faut-il rejoindre Treis, où la jeune fille serait.
De Treis, finalement, on verra peu de chose: sa porte - et sa file d'attente sans fin - et un bordel. Le roman eut mieux fait de s'intituler Aliène, altitude variable, tant le désert est finalement au coeur du propos. Peu importe: le titre, c'est pour le commerce.
Treis, altitude zéro est un conte, tout comme Les Tours de Samarante. J'avais écrit des Tours..., sur je ne sais plus quel forum (ActuSF? le Cafard?), qu'on avait affaire à quelque chose comme Gunnm de Yukito Kishiro, mais écrit par Thomas Day. Voilà qui est trop restrictif. Avec l'ajout de ce nouveau tome, on peut ajouter en guise de référence le Roger Zélazny de Seigneur de Lumière, mais avec un style empreint du (faux) détachement de Cordwainer Smith. Autant dire que c'est beau. Souvent cruel, mais beau.
Pour le coup, me voilà plongé dans la plus pure horreur. Pourvu que l'auteur ne nous fasse pas attendre encore trois ans pour le tome de conclusion!
20:04 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (0)