Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/11/2019

Cyril Kornbluth et Judith Merril – Le Fusilier Cade

Kornbluth.jpgCade est un Homme d'Arme, un vrai, un dur, un bas du front. Stationné en France, auprès de l'Étoile locale, il sert avec fidélité l'Empereur du Monde, et pour cela il défend vaillamment son Étoile contre les incursions des autres. Depuis l'âge de six ans, il ne connaît qu'une vie monastique, durant laquelle on lui a enseigné que seul l'Empereur est bon, qu'il lui faut fuir les femmes, que les civils sont vils et mous. Son rythme quotidien, entre deux phases de combats, n'est qu'ascèse et méditation sur la philosophie de Klin, une philosophie millénaire, apparue aux origines du monde, il y a dix mille ans, avec le premier Empereur.

Mais voilà que lors d'un combat pour reprendre un village tombé aux mains de l'Étoile de Moscou, il est drogué par une civile, et porté disparu. Pire, lorsqu'il parvient à échapper à ses ravisseurs, il se rend compte qu'il a été donné pour mort, et lorsqu'il tente de se faire reconnaître, on le considère comme un usurpateur d'identité. Il devient alors un paria. 

Qu'à cela ne tienne: buté et conscient que l'ordre doit être rétabli, surtout que visiblement un complot menace l'empereur, il ne va cesser de vouloir contacter ses supérieurs, puis les supérieurs de ceux-ci, jusqu'à réclamer une audience à l'Empereur lui-même, chaque étape lui permettant de se rendre compte du degré de corruption de l'Empire du Monde, et du caractère totalement vain de sa vie.

Bien que publié initialement en 1952 (et en France, au Masque, en 1979), Le Fusilier Cade de Cyril Kornbluth et Judith Merril a franchement bien vieilli, au point qu'on retrouve un de ses principes, à peine modernisé, celui de la guerre factice, dans le film Sky Crawlers de Mamoru Oshii. Kornbluth et Merril décrivent à la perfection, dans un récit linéaire, le parcours mental d'un homme totalement endoctriné depuis la plus tendre enfance, serviteur fidèle jusqu'à l'absurde d'un système politique dystopique d'une stabilité remarquable, mais si stable qu'il ne peut être que dégénérescent. Seul un incident, un imprévu, pourrait le faire basculer. Sans doute que Le Fusilier Cade est un roman mineur, mais il est tout de même d'excellente facture, intelligent dans son propos (même si l'on pourrait critiquer l'ultime solution proposée pour clore le récit), et donc d'une lecture encore tout à fait recommandable de nos jours.

02/11/2019

Richard-Bessière – Les 7 anneaux de Rhéa

Bessière.jpgJe n'avais jamais lu jusqu'ici de romans de Richard-Bessière, auteur officiellement bicéphale, qui fut longtemps un des piliers du Fleuve Noir Anticipation. Curieux de savoir ce que pouvait bien valoir l'œuvre de cet écrivain prolifique. Alors j'ai jeté mon dévolu sur Les 7 anneaux de Rhéa (1962), présenté par le préfacier anonyme de la réédition chez J'ai lu comme son chef-d'œuvre. 

Il y a trois cents ans, le surface de la Terre a été victime d'un cataclysme qui a obligé l'humanité tout entière à émigrer sur Vénus. Ce choc a entraîné pour un temps une régression de la civilisation. Mais maintenant, une fusée va être envoyée sur Rhéa, le nouveau nom de la Terre, afin de découvrir ce que l'ancien monde est devenu. Un pilote et tout une équipe de scientifiques montent à bord et découvrent quelque temps plus tard que la Terre est devenue plus petite que par le passé, et que sa surface, loin d'être ravagée, est recouverte d'une végétation luxuriante. Mais un incident provoqué par d'étranges créatures éthérées.

Que dire... D'abord que le roman est très court (160 pages dans cette édition), ce qui est déjà une qualité. Parce qu'autrement, on se trouve face une science-fiction qui relève plus du merveilleux scientifique d'avant-guerre que de la SF moderne, du moins dans la construction du récit, dans la psychologie (ou plutôt l'absence de psychologie) des personnages, et surtout dans l'imagination totalement débridée dont fait preuve l'auteur, qui brasse une quantité de thèmes différents de façon absolument ahurissante. Tout y passe: pouvoirs psychiques, savant qui veut créer des surhommes, terre creuse, civilisations mystérieuses, invasion de créatures divines venues de l'espace, etc.

Ceci-dit, cette accumulation d'idées et de rebondissement ne suffit pas à faire un bon roman. Le style reste très plat, et, je l'ai dit, la psychologie des personnages est particulièrement sommaire. Mais cela reste intéressant à lire, pour l'histoire du genre.

30/10/2019

Joyce Thompson - Les Enfants de l'atome

Thompson.jpgLe Lieu est une parfaite utopie. La sérénité y règne, et ses habitants, tous bienveillants, ont inscrit dans leur Code l'obligation d'entraide. Même si finalement l'obligation n'a pas lieu d'être, car cette entraide vient naturellement. Chacun a sa place, dans ce Lieu. Bartholomew, lui, fait la télévision, avec sa caméra. Bartholomew circule en fauteuil roulant. Il a une nageoire, un seul bras, et est hermaphrodite. Lucas est la voix du Lieu. Il raconte des histoires. Il n'est qu'une tête posée sur un cylindre dans lequel flotte ses organes. Boris est l'inventeur. Il créée instruments et prothèses pour tous les habitants du Lieu. Des habitants tous différents, tous monstrueux, et pourtant si beaux.

C'est là le tour de force de Joyce Thompson, dans le premier tiers des Enfants de l'atome (Conscience Place, 1984), de nous présenter comme belles des Êtres (c'est le nom qu'ils se donnent) qui seraient vus comme des monstres partout ailleurs. Ces Êtres sont les enfants difformes des employés de l'industrie nucléaire, officiellement morts à la naissance, mais qu'on a recueillis et rassemblés dans un centre où, sous observation, on leur offre un cadre de vie idyllique, comme en forme de reconnaissance pour le sacrifice de leurs parents. Ils s'auto-gouvernent, et ne connaissent rien du monde extérieur, le domaine des Pères. Seul Frère Alice est en contact avec les Pères, Frères Alice, qui est en fait une observatrice de ce petit monde pacifique.

Mais voilà que ce bonheur va avoir une fin. Les crédits s'épuisent, et le Lieu, comme tout centre de recherche, se doit de devenir rentable. Comment vont réagir les Êtres? Comment va réagir Frère Alice, qui a tant donné de sa personne pour les protéger?

Roman méconnu de nos jours, Les Enfants de l'atome est un très beau roman, empli de poésie, mais aussi un roman cruel, critique de l'ultra-libéralisme reaganien, mais aussi de l'hypocrisie de l'humanisme de l'époque qui l'a précédé. Un roman qui nous oblige à réfléchir sur qui sont réellement les monstres.