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02/09/2012

Yves Dermèze - Le Titan de l'espace

Dermèze.jpgYves Dermèze. Voilà un grand ancien de la SF française que je n'ai pas lu depuis une éternité. A vrai dire, j'ai du lire de lui quelques romans, au tout début où je m'intéressais à la SF - j'étais ado - et vu la masse de livres que j'ai pu dévorer à cette époque, cela ne m'étonne plus guère que je ne souvienne plus de rien en dehors des Lumières, un chouette récit façon "mythe de la caverne" de Platon. Un bon point quelque part, car cela veut dire que ce que j'ai pu lire de Dermèze n'était pas assez mauvais pour me marquer. Et puis voilà que dans une brocante je tombe sur ce volume du Masque SF (1976), avec une couverture fort sympathique pour accompagner un titre: Le Titan de l'espace, roman initialement paru en 1954.

1954: autant dire que l'on se place au tout début de la SF française moderne. A cette époque, Yves Dermèze - qui n'est qu'un pseudonyme parmi d'autres de Paul Bérato, a déjà une bonne douzaine de romans à son actif, tous des petits romans populaires. Quand Le Titan de l'espace paraît, c'est dans la fameuse collection "Série 2000" de Métal (oui, les couvertures métalisées si chère à la SF en France viennent de là), une collection qui fut une des fondatrices du domaine d'après guerre, avec le Fleuve Noir Anticipation, Présence du Futur de Denoël et Le Rayon fantastique chez Hachette.

Dans Le Titan de l'espace, il est question de ce que l'auteur appelle un "être-force", une entitée immense, toute puissante, capable de voyager d'une galaxie à l'autre, et qui tire son énergie de la vie, qu'elle éteint d'un monde à l'autre. Chob, initialement, n'était pas seul. Mais la vie se faisant de plus en plus rare, les siens ont commencé à disparaître, et lui-même est sans doute un des derniers. Il est épuisé, d'ailleurs, voilà longtemps qu'il n'a croisé de planète porteuse de vie. Son "corps" s'éfiloche sur des années lumières. Et voilà qu'il croise un vaisseau spatial, venant de la Terre.

Aussitôt, il tue les membres de l'équipage et s'empare de leurs corps. Tous sont ainsi transformés en "robots", plus ou moins autonomes, tous sauf Robson, un obscur ingénieur, qu'un autre être-force, Akar, a sauvé. Cela fait longtemps qu'Akar reste à proximité de la Terre. Mais lui n'y a pas éteint la vie: il l'a cultivée, ne se nourrissant que des morts naturelles. Les êtres vivants de la Terre sont son bétail, et naturellement il va chercher à défendre son cheptel. Ainsi, un combat à mort entre Chob, Akar et Robson va s'engager.

Si l'on passe sous silence la relative pauvreté de style (relative car nous sommes clairement dans le domaine du roman populaire) et la simplicité psychologique des personnages, on retiendra de ce roman parfaitement bien structuté des images saisissantes. Notamment de ces entités, étranges, basée sur une physique que l'auteur ne maîtrisait sans doute pas, mais rendu crédible par un système logique interne impeccable. Notamment aussi du paysage social de ce futur lointain, avec un monde réduit, suite à une guerre nucléaire, à l'Amérique du Nord et à l'Europe unie, toutes deux devenues dictatures et voulant se faire la guerre, une guerre qui pourrait être la dernière. Car l'atome est partout dans ce monde visiblement devenu fou. C'est d'ailleurs ce qui sauvera une partie de la population: les être-force ne peuvent pénétrer les "écrans atomiques" sans perdre une grande partie de leur pouvoir. On retiendra aussi ce qui est sans doute la première invasion de zombies au monde, avec cette armée de corps manipulés que Chob met en place. Bref, ça grouille d'idées, et des bonnes. Ce Dermèze pouvait en 1954 sans conteste tenir tête à un Asimov ou à un Van Vogt (pour ne prendre que des auteurs américains sans style, mais à idées). Un petit roman brillant.

12/08/2012

Clark Ashton Smith - Zothique

Zothique.jpgVoilà une relecture qui me faisait un peu peur. Clark Ashton Smith est un auteur que j'avais déjà abordé, encore adolescent, à la suite de Lovecraft, à un moment où ledit Lovecraft commençait à m'ennuyer ferme (il faut dire qu'avaler les trois tomes de chez Bouquins à la suite, ça n'était pas une bonne idée car un descendant un tel fleuve on se rend vite compte des facilités d'écriture du "maître"). Mais voilà, qui dit Lovecraft dit Smith, et Smith, ça m'avait bien plu.

Et ça me plaît toujours.

Ce petit recueil coordonné par Jean-Baptiste Baronian, a le mérite d'être très cohérent, à la différence des recueils publiés plus tard par NéO, en ce sens qu'il ne contient que des textes concernant le continent fictif de Zothique. 12 textes. De l'aveux même de Baronian, il en manque trois, plus deux "évocations poétiques". J'imagine que si ces derniers n'ont pas été intégrés, c'est juste pour respecter le format standard des éditions du Masque, dont le volume est réellement calibré. Dommage. Mais que cela n'empêche pas de goûter à ce qui reste.

Au premier abord, on serait tenté de ne voir dans ces contes qu'un décalque des Mille et Une nuits. Des déserts, des caravanes, des palais, des momies, des goules, tout est là. Mais dans cet univers orientale chatoyant, Smith infuse une dose non pas vraiment d'horreur - même parfois on en est très proche - mais de ce truc intraduisible qu'on a à l'époque appelé weird. De l'étrange, mais de l'étrange noir, voire macabre. Rares sont les textes à avoir une fin heureuse. Tous sont court, mais grâce au talent évocateur de l'auteur, tous permettent malgré tout une immersion profonde dans cet univers étrange où le surnaturel est naturel et attendu. Et dans tout cet ensemble, il faut réserver une mention spéciale à "L'Idole noire", au "Jardin d'Adompha", au "Dernier hiéroglyhe" et au "Dieu carnivore", autant de textes qui préfigurent avec brio la fantasy - je dis bien fantasy et non fantastique - moderne.

John Wyndham - La Machine fantôme

Wyndham.jpgCela faisait longtemps que je voulais me refrotter à un auteur classique de la SF, et quand ma main est tombée au hasard sur ce petit recueil de John Windham, paru en 1976, j'ai souri intérieurement, tout content de ma trouvaille. Hélas, le résultat n'est pas à la hauteur, car ce recueil de l'auteur d'un paquet de romans importants du genre s'avère disparate et ne mérite pas son titre original (The Best of John Wyndham). En effet, non seulement on n'a le droit qu'à une bien légère sélection (seulement sept textes), dont l'essentiel est composé d'oeuvre d'avant-guerre, lesquelles ont singulèrement mal vieilli. Ainsi, "La machine perdue" (une banale histoire de naufragé ET sur Terre, 1932), "Le Troc des mondes" (où quand nos très lointains descendants nous forceront à échanger notre monde contre le leur, 1931) et "La Perfection même" (une simple variation assumée de L'Île du docteur Moreau, 1937) s'avèrent affreusement écrite, dotée d'un humour balourd, et farcie, pour ce qui est du "Troc des mondes", de défauts logiques. Datant de cette époque, seul "Le Survivant", avec son postulat peu banal et son arrière plan social, peut être sauvé: sur Vénus, planète dotée de sa propre civilisation, il existe une vallée dont l'atmosphète a la propriété étrange de figer et conserver pour toujours tout être vivant qui y pénètre. C'est ainsi un musée en plein air de la préhistoire locale. Sauf qu'on y a trouvé un Terrien, unique en son genre.

Les histoires d'après-guerre sont tout de suite plus lisible. Sans doute l'auteur a-t-il fini par suivre le mouvement campbellien de la SF anglo-saxonne, qui a produit des oeuvres plus profondes, mieux bâties, bref, plus littéraires. "Adaptation" (1949) raconte le destin tragique d'une petite famille de pionniers sur Mars: le père travaille dur pour se faire une place, la mère est malade et ne parvient pas à s'adapter, la fille, un bébé, risque de mourir si elle reste sur Mars. On décide donc de l'envoyer sur Terre... mais le vaisseau disparaît en vol. Une nouvelle qui pourrait prêter à sourire, mais finalement poignante. "Les murs de Jéricho" (1951) reprend le postulat de "La Machine perdue", à la différence près qu'il s'agit-là d'une véritable expédition qui vient s'échouer lamentablement sur Terre. Si les ET sont dotés d'un intellect semblable au nôtre, ils ne parviennent cependant pas à nous comprendre du fait de différences physiques insurmontables... et surprennantes, pour dire vrai.

Reste le meilleur texte de l'ensemble: "Le Vide de l'espace" (1960). Assurément un petit chef-d'oeuvre. Dans un futur pas si éloigné que ça, la guerre nucléaire a éclaté en Europe et laissé de vastes zones inhabitables, les colonies spatiales ont pris leur indépendance, et de nouveaux états dominants apparaisent dans l'hémisphère sud. Un homme travaillant à la recolonisation des espaces contaminés est envoyé en vacances en Nouvelle-Calédonie, ultime coin de France vivant comme fossilisé culturellement. Là, il fait la rencontre d'un ancien spationaute qui prétend avoir perdu son âme et chercher quelqu'un qui l'aiderait à la retrouver. "Le Vide de l'espace" est un texte court, mais particulièrement riche, avec un arrière-plan solide et crédible et surtout une surprenante réflexion religieuse sur la mort. Le tout donnant un récit beau et touchant.