05/01/2013
Jean et Doris Le May - Solution de continuité
Encore un vieux Le May, du début de leur carrière, avec ce Solution de continuité paru en 1969. Nous sommes ici en présence d'une thématique assez peu abordée par ces auteurs, celle du roman apocalyptique (même si le post-apocalyptique reste un de leurs genres de prédilection).
La Terre est au bord du précipice: la guerre froide ne s'achève pas, les Chinois arment des missiles nucléaires, tout le monde en est à organiser des exercices militaires, et même les Français voudraient bien du coup pouvoir sortir de l'isolement gaulliste dans lequel ils sont. Fort heureusement (sic!) un événement va mettre fin à tout ce bazar. Une flottille extraterrestre de colonisation passe dans les parages, mais à la suite d'une avarie, l'un des vaisseaux coloniaux (un engin de plusieurs kilomètres de dimensions) percute la Terre. Le choc est, on s'en doute, particulièrement violent, d'autant plus que le vaisseau libère dans l'atmosphère un produit hautement toxique. Bref, tout être vivant de bonne taille qui n'était pas sous l'eau ou sous terre est instantanément tué, tandis que la croûte terrestre subit d'intenses déformations qui font par exemple que le fond de l'océan Atlantique se soulève.
Les autres membres de la flottille extraterretres, horrifiés par ce qui vient de se passer, décident de venir en aide aux survivants - quelques milliers - en leur proposant de les emmener avec eux sur le monde vierge qu'ils vont coloniser.
Solution de continuité nous propose de suivre le destin de plusieurs personnages: un amiral américain, commendant d'un sous-marin, son homologue russe, et un pilote d'essai français, Pierre Grelier, qui sur un coup de tête avait décidé de suivre un groupe de scouts emmené par un curé géologue dans une expédition spéléologique.
Disons-le d'emblée, le début de ce roman est haletant. Ne négligeant aucun détail, les Le May parviennent à nous faire vivre cette catastrophe et ses conséquences avec brio. Malheureusement, l'entrée en scène des extraterrestres donne un sérieux coup de mou à l'intrigue: le contraste entre cette société où tout le monde est beau et gentil sonne artificiel, alors que ce genre de contexte chez ces auteurs est bien venu dans leurs space operas. Mais ils se reprennent vite, heureusement, car quelques inconscients, dont Pierre Grelier, refusent finalement de quitter leur monde et tentent de s'installer dans un paysage quasi-vide qu'il faut reconstruire.
En dépit de ces variations de rythme, de quelques faiblesses psychologiques aussi (toujours au niveau des ET), on se surprend à prendre plaisir à la lecture de ce roman populaire, et même à penser que finalement, avec ses intrigues croisées, il fournirait une base parfaite au scénario d'une bonne série télé!
Solution de continuité surprend aussi par son personnage principal, Grelier, un aventurier pas aussi fort qu'il le voudrait. Il surprend moins par contre en le fait qu'on y retrouve l'éternel questionnement chez les Le May, sur le couple. Tout le monde doit être en couple chez ces auteurs, c'est une thématique forte. Cependant, ce questionnement ici trouve une réponse curieuse. Il est assez fréquent dans la SF post-apocalyptique des années 60-70 que le héros, bon gré mal gré, se retrouve en couple avec une jeune fille mineure (cf. Génocides de Thomas Disch, 1965, ou Les Furies de Keith Roberts, 1966). De fait, Grelier se retrouve d'abord au contact d'une jeune fille de 19 ans... mineure, donc, en 1969 (et même ici carrément infantilisée par Grelier). Mais comme s'ils voulaient faire un pied de nez aux auteurs anglo-saxons, les Le May donneront à leurs personnages un tout autre destin.
21:34 Publié dans Jean et Doris Le May, Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (0)
01/01/2013
René-Jacques Victor - Les Doigts du hasard
Mais qui est donc René-Jacques Victor? Un parfait inconnu, visiblement puisque celui-ci semble n'avoir signé qu'une nouvelle dans l'anthologie Complots capitaux publiée en 2008 au Cherche-Midi, et un petit recueil de nouvelles, en 1976, au Masque SF, Les Doigts du hasard. A moins qu'il ne s'agisse du pseudonyme connu par ailleurs... J'ai posé la question à quelques savanturiers, sur Facebook. Le nom de Gabriel Jan a été évoqué. J'ai moi-même pensé un temps à Jacques Hoven. Rien de bien sûr...
Les Doigts du hasard contient six nouvelles, très hétéroclites, et qui semblent avoir été écrites sur un laps de temps très long. La première, Jlee, une histoire de naufragée extraterrestre qui finit par épouser un terrien et fonder une famille, sonne très pulp, très années 40/50. Un texte pas vraiment transcendant, vieillot voire poussiéreux. Le deuxième, Chut... chut... chut..., fait plus science-fiction française des années 60 avec ses airs de romans colonial. Les Terriens ont établi des concessions minières sur un monde hostile habité par une poignée d'indigènes hermaphrodites qui, eux, semblent amicaux. Pourtant des employés disparaissent régulièrement, et l'un d'eux est même changé en statue. Un médiocre policier est envoyé pour résoudre l'énigme. Une nouvelle maladroite, mal construite, avec des sautes inexplicables dans l'intrigue. Passons. Le niveau est à peine plus élevé avec Ambassadeur, encore une histoire coloniale, mieux construite, mais à l'humour un brin prout prout caca qui fait tout juste sourire.
Et puis subitement, trois nouvelles qui elles semblent bien dater des années 70. Et qui sont remarquables.
Dans L'Ange au bout de la piste, nous suivons les investigations d'un employé chargé d'enquêter sur des mystérieuses apparitions que voient un petit garçon de dix ans et sa grand-mère, qui habitent tous deux un pavillon situé en bout de pistes de l'aéroport d'Orly. L'enfant voit des géants qui avalent les avions, mais aussi des anges. Mieux: la grand-mère a réussi à arracher quelques plumes à l'un d'eux. Le portrait psychologique de l'enquêteur est remarquable et la progression dans l'angoisse parfaite.
Une Rose au coeur d'une montre est sans doute le chef-d'oeuvre du recueil. Il y a trois cent ans, un vaisseau s'est écrasé sur un monde océanique, et seule une poignée de survivants a pu atteindre une île, malheureusement isolée de tout par des vents aléatoires et de forts courants. Pourtant, régulièrement, de hardis marins tentent de rejoindre l'épave du vaisseau, histoire d'en ramener de précieux documents. Mais jusqu'ici aucun n'a réussi, aucun avant la folle tentative du jeune Helberg. Un récit fort, au croisement du Village de Kir Boulytchev (mais qui connaît ce roman en France?) et de Windhaven de George Martin et Lisa Tuttle.
Le recueil se conclut avec La Vieille maison dans les bartas, une nouvelle dont l'inspiration est assurément l'oeuvre de Clifford Simak. Et ici la copie est au niveau du modèle. Un écrivain parisien en vogue décide de s'installer en pleine cambrousse, du côté de Saint-Affrique, avec sa maîtresse du moment, dans une vieille masure sans électricité. Mais la maîtresse en question disparaît de temps en temps, pour réapparaître subitement, comme si de rien n'était. Et si la maison n'était finalement qu'un poste d'observation temporel?
Au final, rien que pour ces trois nouvelles, ce petit recueil vaut la peine d'être lu.
11:42 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (0)
31/12/2012
Robert Silverberg - Les Vestiges de l'Automne
Je suis longtemps resté un grand fan de Robert Silverberg, ou tout au moins de ses romans des années 1968-1976. Et puis il y eu Le Château de Lord Valentin et toutes ses suites, une abominable série soporifique à mourir dans laquelle Silverberg abandonnait toute imagination pour mieux remplir son porte-feuille. Bref, pendant une vingtaine d'année, Robert Silverberg fut mort.
Et puis il y eut Le Grand silence, et Roma Aeterna. Pas nécessairement des grands romans, mais de bons romans, plus personnels, plus soignés et intelligents. Aussi n'avais-je guère de crainte en ouvrant des Vestiges de l'automne.
Cette novella est en fait ce qui reste d'un projet de troisième tome d'une série entamée par A la fin de l'hiver et La Reine du printemps, une trilogie qu'il ne put jamais achever réellement pour de bêtes questions de droits. Puis finalement Silverberg reprit son synopsis (publié dans ce volume même en bilingue) et le développa en une histoire indépendante, quoi que se plaçant dans le même contexte.
Il y a fort longtemps, des milliers d'années, des comètes se sont écrasées sur la Terre, mettant fin à une civilisation brillante, mêlant divers races dont les Humains. Ceux-ci, qui n'ont pas survécu à la catastrophe, se sont cependant créés des héritiers issus des singes: le Peuple, qui resta longtemps préservé dans des cocons souterrains. Les Vestiges de l'automne nous présente la renaissance du monde. Le Peuple s'établit un peu partout, crée des villes, noue des contacts avec les Hjjks, insectes intelligents seuls rescapés de la chûte des comètes. Seuls rescapés? Plus vraiment, car un rapport montrant qu'une colonie de Seigneurs de la Mer a survécu au long hiver arrive sous les yeux d'une jeune archéologue qui se lance aussitôt à leur recherche.
La trâme de ce récit date des années 80, le creux de la vague donc pour Silverberg, et cela se sent. On n'y retrouve guère la flamme des années 70, dans une histoire post-apocalyptique cependant originale. Toutefois, l'auteur a de la bouteille. Il sait conter, ce qui n'est pas donner à tout le monde. Et si l'on sent bien que finalement ces Vestiges de l'automne sont aussi des vestiges littéraires, incomplets, imparfaits, il n'en reste pas moins que leur lecture est agréable, et pour le coup recommandable, pour les longues soirées d'hiver.
18:37 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (2)