26/03/2016
Leigh Brackett - Les Hommes stellaires
J'adore Leigh Brackett. Je l'ai déjà dit ici et ici, par exemple. Mais il y avait un court roman que je n'avais pas encore lu d'elle, Les Hommes stellaires, datant de 1952. La chose a été traduite deux fois en français, et mon choix s'est porté sur la version parue au Masque en 1974.
Michael Trehearne est a priori un humain comme les autres. Mais lorsqu'il fait la rencontre d'extraterrestres venus discrètement sur Terre, il se rend compte qu'il est l'un d'eux. Ou plutôt le descendant de l'un d'eux. Dans quelles circonstances ses ancêtres ou parents sont arrivés là, on ne le saura pas vraiment puisque hop: Trehearne est embarqué par ces ET, et il ne reverra plus jamais la Terre. Il se trouve que les ET en question sont des Vardda, le seul peuple de la galaxie a avoir pu bénéficier d'une mutation artificiel permettant de voyager d'une étoile à l'autre, une mutation créée par un savant déclaré par la suite hors la loi et disparu depuis un millénaire. Les Vardda servent depuis de commerçants interstellaires, seul lien qu'ils sont entre les mondes. Mais leur richesse ainsi acquise choque les derniers humanistes subsistants, qui rêvent de retrouver le secret du savant et de le dévoiler à la galaxie entière. C'est d'autant plus nécessaire que les autres peuples envient jusqu'à haïr les Vardda.
J'attendais sur space opera pulp, j'ai eu le droit à un pensum poussif sur l'amitié entre les peuples. En soi, ce n'est pas inintéressant, mais ce petit roman peine à convaincre, partant du principe que le vol interstellaire, c'est comme le vol ultrasonique: il faudrait un physique particulier pour aller plus vite que la lumière. Déjà, ça ne tient pas debout. Mais au delà de ce problème scientifique même pas crédible lors de la publication originelle du roman, la construction elle-même est maladroite, avec un fort long voyage commercial supposé nous faire découvrir les autres peuples de la galaxie, mais qui peine à être autre chose qu'un long délayage.
Vite lu, vite remis au fond d'un carton.
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Christine Luce (dir.) - Bestiaire humain
Il est toujours difficile de faire la critique d'une anthologie, du fait de la nature forcément diverse des textes. Bestiaire humain, dirigée par Christine Luce aux éditions Bibliogs, n'échappe pas à la règle: pire, elle se jette tout droit dedans puisque son thème central est la chimère. Les chimères. On trouvera donc de tout, à son sommaire: des poésies, un port-folio, des nouvelles, des illustrations. Le tout savamment mélangé comme il se doit.
D'emblée, je ferai l'impasse sur les poésies. Ça n'est pas une question d'appréciation, mais je ne suis simplement par armé intellectuellement pour juger ces textes. Reste les nouvelles.
L'anthologie s'ouvre sur deux textes qui sont presque frères, et que pourtant tout oppose, notamment par la nature de leurs auteurs. Dominique Douay est un auteur majeur de la science-fiction française, Nelly Chadour est une débutante prometteuse. Mais l'un comme l'autre ont choisi de faire de leurs textes des hommages déviants à des auteurs classiques: Herman Melville pour l'un (Avec Herman Melville dans la vallée des Taïpi), et Robert E. Howard pour l'autre (D'encre et de regrets). Le texte de Dominique Douay est remarquable par l'aisance avec lequel il se glisse dans les oripeaux du fantastique du XIXe siècle, avec sa construction par emboitements (j'ai vu Machin, qui m'a raconté l'histoire de Truc, à qui Chose avait raconté ses aventures). Construction classique donc, mais jamais aisée à manipuler: Dominique Douay y parvient à la perfection. Nelly Chadour, elle, donne paradoxalement à son texte un ton plus proche de celui de William Hope Hodgson et des auteurs fantastiques européens du début du XXe siècle, que de celui de Howard, qu'elle ne nomme jamais directement d'ailleurs. Mais cela contribue à donner une sensibilité surprenant à cette histoire d'écriture inachevée.
La nouvelle de Leo Dhayer est un tantinet plus décevante, si l'on peut dire. Son "auteur" à elle est Karin Boye, dont Leo Dhayer a tout récemment traduit l'excellent Kallocaïne aux Moutons électrique. Mais si le style de K, puisque c'est le titre de ce texte, est brillant, il y a malheureusement une rupture de narration, à mi-parcours, qui est déstabilisante. Peut-être cette nouvelle aurait-elle méritée d'être plus longue?
Rupture de narration aussi avec le diptyque de Robert Darvel et Irène Maubreuil, Hors des eaux, mais une rupture voulue, puisque chacun des co-auteurs a écrit l'un des deux chapitres de cette nouvelle. Une nouvelle que je ne chercherai pas à comprendre. Il y est question d'étranges bestioles qui tâchent de s'extirper de leur milieu de création, un peu comme des myxomycètes sortiraient de leur bac de culture, et qui s'en vont à la découverte des environs, lesquels ressemblent singulièrement à une ville, mais une ville de rêve (ou de cauchemar?). Chercher à comprendre ne sert à rien, de toute façon: nous sommes bien dans un rêve, avec toutes les possibilités d'émerveillement, d'étonnement, de stupeur et de frayeur que cela implique. Hors des eaux est un texte fort, très fort.
Émilie Fitz nous offre avec Chimène un port-folio narratif, sur une chimère échappée d'un laboratoire. Étant donné que je suis strictement incapable de décrire une oeuvre graphique, je dirai juste que c'est très beau. Avec Cyclade, Christine Luce nous entraîne à la rencontre de deux personnages qu'on sent hors normes, échoués dans un rade genre PMU-brasserie. Une ambiance glauque, lourde, tout en sous-entendus. Peut-être la fin arrive-t-elle un peu trop vite? Peu importe. Christine Luce est un auteur rare qui devrait sans doute écrire plus souvent.
Le texte de Dominique Warfa, Un Testament chimérique. Stack overflow, est plus classique. Écrit sous la forme d'un log de chat entre un humain et l'esprit d'un autre aspiré par le réseau, il montre en quelques pages ce que cela serait, justement, d'avoir un esprit désincarné sur le net, capable de tout contrôler, de tout savoir.
Là encore je n'ai strictement rien compris à la nouvelle de Jacques Barbéri, Kantopéra. Mais sans doute n'était-ce pas le but du jeu. Il faut se laisser bercer par le style de l'auteur, se rattraper aux quelques bouts qui font forcément sens. Limite n'est pas mort et c'est tant mieux. Les illustrations de Jeam Tag sont par ailleurs fabuleuses.
Avec Huis clos pour huit clones, Bruno Pochesci... fait du Bruno Pochesci. Auteur régulier qui ne parvient jamais à se prendre tout à fait au sérieux tout en accumulant les bonnes idées, il reprend ici le postulat du Monde du Fleuve de Philip José Farmer, à ceci près que si l'on retrouve bien ici des personnalités célèbres qui se réveillent nues dans un environnement totalement inconnu, il s'y ajoute ici un mélange des esprits: Hitler semble hanter le cerveau de Gandhi, par exemple. A moins que ce ne soient les circonstances exceptionnelles qui révèlent de façon inattendue un aspect méconnu de ces personnalités. Étonnant et efficace.
Prophéties inverses trois, sept et vingt-deux, de Nicolas Le Breton, n'est hélas pas à la hauteur du reste du volume: texte trop court, qui hésite entre la blague potache et l'idée développée avec sérieux, et qui présente des événements tout à fait improbable sans vraiment jouer sur cette improbabilité.
Mais au final, Bestiaire humain est une anthologie tout à fait ambitieuse, qui justement ne joue pas sur l'uniformité thématique des textes, mais bien sur la plus grande diversité possible de thèmes, de styles et de formes, le tout visant à composer une chimère viable. Pari osé? Pari tenu!
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01/09/2015
Laurent Gaudé - La Mort du roi Tsongor
Je ne m'étalerai pas longuement sur ce roman. La pseudo-polémique survenue au moment du bac concernant une autre oeuvre de l'auteur m'a juste agacé par sa vacuité, et si j'ai acheté ce livre, c'est pour une fois grâce à sa quatrième de couverture, qui invoque les tragédies grecques pour une histoire placée dans une Afrique imaginaire. Je n'avais jamais rien lu jusqu'ici de Laurent Gaudé, mais au moins le risque n'était pas bien grand, puisque ce roman ce fait qu'un peu plus de 200 pages.
Mais voilà, La Mort du roi Tsongor pour moi au final un des meilleurs romans de fantasy que j'aie pu lire ces dernières années. Oui, de fantasy. Et pourtant c'est publié chez Actes Sud. Mais nous avons-là un royaume imaginaire, avec un roi imaginaire, des sortilèges, un fantôme, des guerriers, des batailles épiques. Publié ailleurs, ce roman aurait sans conteste eu cette étiquette. Et s'il surclasse largement ses homologues, c'est grâce à l'originalité de son cadre – l'Afrique, une Afrique qui m'a rappelé l'excellent Trône d'Ébène de Thomas Day (un roman finalement très similaire à celui de Gaudé dans l'esprit) –, mais aussi grâce à son style.
Là où les auteurs ordinaires de fantasy délayent en trilogie et au-delà, Gaudé ramasse, condense plusieurs années d'histoire en 200 pages très denses. Et tout ceci sans faire l'impasse sur la psychologie de ses personnages: Tsongor, le vieux roi, grand conquérant devenu civilisateur, et qui sent son échec arriver; Katabolonga, celui qui, il y a fort longtemps, a juré de tuer le roi, en est devenu le plus fidèle ami mais accomplira malgré sa tâche, les fils du roi, qui se déchirent pour l'héritage, et les prétendant de la fille. Tous vont se battre en vain, tandis que Katabolonga gardera fidèlement la dépouille du roi et que Souba, le cadet, parcourra le royaume pour lui construire des tombeaux.
Et tout ceci est raconté avec une élégance rare. Raconté, oui, et non écrit. Laurent Gaudé nous offre une épopée qu'il vaut presque mieux lire à voix haute que dans sa tête. C'est un conte, une légende, et non un roman. Une fort belle légende.
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