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16/01/2021

J.-H. Rosny aîné - Les Femmes de Setnê

DSCN8377.JPGPublié en 1903 chez Ollendorf, Les Femmes de Setnê est un court roman de J.-H. Rosny aîné paru sous le pseudonyme d'Enacryos. L'action prend place en Égypte ancienne, juste après que les Hyksos aient été chassés, sous le règne de Thoutmès III. Setnê est un jeune soldat plein d'avenir. Commandant une phalange, il s'apprête à la guerre que le pharaon veut mener contre Ninive. Mais lors d'une fête, il croise une jeune esclave nomade, et pris de désir pour elle, il la rachète. Dans le même temps, il rencontre la sœur du pharaon. L'esclave, qui ne cherche qu'à se venger de ceux qui l'ont mise dans cette condition, va aider le jeune homme à se rapprocher de la princesse, en échange de son soutien dans sa vengeance.

Voilà un bien étonnant court roman, dont je ne saurais vraiment dire s'il est bon ou mauvais. Toujours est-il qu'il est intéressant. Très joliment écrit, il souffre cependant de plusieurs défauts. Le principal est l'érotisme. Ou ce qui est supposé être de l'érotisme. Soyons cru: Setnê veut se taper l'esclave, qui refuse. Mais Setnê veut aussi se taper la princesse, qui elle-même se taperait bien Setnê. L'esclave servira d'intermédiaire, et la princesse voudrait bien la remercier en se la tapant... mais la belle reste farouche et ne cèdera qu'au désir du pharaon.

"Désir", pas "amour". Tout le monde veut se taper tout le monde, pris par une sorte de pulsion qui est plus animale que réfléchie. Et bien souvent, peu importe le consentement: dans Les Femmes de Setnê, les hommes violent les esclaves et les captives de guerre comme les marquis tripotent les soubrettes dans les vaudevilles. Elles ne le veulent pas? Et alors! De ce point de vue là, Les Femmes de Setnê a terriblement vieilli, même lorsque l'on fait l'effort d'une remise en contexte.

DSCN8378.JPGCependant, il reste un roman étonnant... car ce n'est pas un roman historique, mais bel et bien un roman de fantasy. Lorsque la guerre commence, les troupes de Setnê doivent en effet affronter des dragons, puis des tigres colossaux, et enfin un mystérieux peuple qui vit au fond – c'est-à-dire dans les eaux – d'un marais. Un peuple à la peau bleue. Toute cette partie rappelle singulièrement la production américaine plus tardive, celle des pulps.

L'édition originale chez Ollendorf comprend de magnifiques gravures dessinées par Dufau et gravée par Lemoine, gravures a priori absentes de la réédition de 1931 chez Flammarion. Le roman lui-même a été réédité en 2014 par Fabrice Mundzik, dans le recueil Fables antiques et autres récits érotiques, chez Bibliogs. Ce recueil est malheureusement épuisé.

28/12/2020

Mykhaïlo Kotsioubynsky - Ombres des ancêtres oubliés

Kotsioubinski.jpgMykhaïlo Kotsioubynsky (1864-1913) est considéré comme un des plus grands auteurs ukrainiens, un des fleurons de la brève renaissance de la littérature ukrainienne de la veille de la Première Guerre mondiale. Que connaissons-nous de son œuvre en France? Rien. En volume, il n'y a eu que les deux nouvelles parues dans ce volume, Ombres des ancêtres oubliés, paru en 1970 chez PIUF et réédité en 2001 chez L'Âge d'Homme. Les deux éditions sont maintenant indisponibles. Autant dire que c'est un auteur oublié.

Ombres des ancêtres oubliés, aussi nommée Les Chevaux de feu, prend place dans les Carpates ukrainiennes, chez les Houtsoules, de rudes paysans montagnards (ils furent les derniers d'Europe à voir leur terroir organisé en paroisses chrétiennes, au XVIIIe siècle). Elle suit le destin d'Ivan, coincé dans la rivalité entre deux familles, amoureux fou d'une jeune fille qu'il ne pourra épouser, et qui finira par se marier par dépit. Ombres des ancêtres oubliés est un texte fantastique dans tous les sens du terme: les croyances des Houtsoules, notamment en Aridnik, le diable, y prennent littéralement corps. Un texte puissant et beau. Chef d'œuvre? Sans doute.

Sur le rocher est aussi l'histoire d'un amour tragique. L'histoire prend place en Crimée, dans un petit village côtier de Tatars. Ali, l'aide turc d'un marchand grec de sel, est amoureux fou de Fatma, la jeune épouse d'un boucher tatar. Pourront-ils s'enfuir? Le texte est court, mais bouleversant.

Quitte à choisir entre les deux éditions, il faut préférer celle de chez PIUF, certes plus rare, notamment avec sa jaquette, mais fort belle, avec d'impressionnantes gravures de H. V. Yakoutovych.

 

Pierre Astier et Iryna Dmytrychyn - Nouvelles d'Ukraine

Ukraine.jpgParu en 2012 dans la collection "Miniatures" des éditions Magellan & Cie, Nouvelles d'Ukraine, anthologie dirigée par Pierre Astier et Iryna Dmytrychyn, se veut être un bref panorama de la littérature ukrainienne moderne - mais antérieure à la guerre civile toujours en cours. Elle a pour ambition, comme le dit Pierre Astier dans la brève préface, d'être le reflet de la diversité linguistique et géographique de cette littérature mal connue en France. Je regretterais juste au passage – mais c'est là un peu un plaidoyer pro domo – la totale absence du fantastique, alors que l'Ukraine ne manque pas d'auteurs brillants dans ces genres (Henry Lion Oldie, Vladimir Arenev, Yana Doubinianskaya par exemple).

Par nécessité, ce recueil est donc hétéroclite. Du Point de vue d'un brin d'herbe, d'Andreï Kourkov, est un joli texte qui décrit, du point de vue d'une femme encore engoncée dans la mentalité soviétique, la vie rurale en Ukraine, une ruralité presque coupée des villes. Cette femme pourrait même avoir vécu au XIXe siècle. Mariée on ne sait trop pourquoi, elle ne supporte plus son mari et ses poissons séchés qui empestent la maison.

Prof de tennis d'Oksanna Zaboujko (et non Zabouzhko, comme il est écrit dans le livre, dans une étrange translittération mi-anglaise mi-française – phénomène qui touche d'autres noms propres ailleurs), est sans intérêt. Cette nouvelle aurait pu être écrite par une autrice française: on y contemple plus son nombril qu'autre chose, et donc oui, au final elle se tapera le prof le tennis. Et on s'en fiche.

Drohobytch, de Youri (ou Iouri, mais pas Yuriy comme il est écrit ici) Androukhovytch n'a pas plus d'intérêt. D'autant plus que ce n'est visiblement pas une nouvelle, mais un article, sur la localité de Drohobytch et son passé, notamment durant la Seconde Guerre mondiale.

Le niveau remonte heureusement avec C'est ainsi de Taras Prokhasko, micro-nouvelle sur une histoire familiale complexe comme il y en a eu tant dans l'ouest de l'Ukraine. Mais elle reste anecdotique à côté de celle de Maria Matios sur le même sujet.

Atlas des routes d'Ukraine de Serhiy Jadan est un texte étrange, mi-nouvelle, mi-reportage, dans laquelle l'auteur se montre servir de guide à un photographe autrichien passionné de ruines industrielles. Leur secteur d'exploration: le Donbass, juste avant la guerre civile. Un Donbass qui n'est qu'usines en ruines, mines abandonnées, et chômeur alcooliques. Le texte est réaliste, et pourtant on se croirait dans la zone de S.T.A.L.K.E.R. (le jeu, pas le roman des Strougatski).

La nouvelle la plus longue du recueil est signée Maria Matios. Avec Apocalypse, elle offre une étrange et terrible chronique familiale de l'ouest de l'Ukraine, de Bucovine, une zone ravagée par le XXe siècle, d'abord par la Première Guerre mondiale, qui vit le départ des hommes, les exactions des Cosaques et des cavaliers tcherkesses (de nombreux enfants naissent alors que les pères sont mobilisés par l'armée austro-hongroise; les familles juives sont parfois décimées par les troupes russes), puis la Seconde Guerre mondiale, avec l'occupation roumaine et hongroise, et sa conclusion: l'expulsion, par le pouvoir soviétique, d'une grande partie des Juifs survivants vers la Roumanie. C'est du point de vue de deux familles de voisins, l'une juive, l'autre orthodoxe, deux familles intimement liées et solidaires, que Maria Matios décrit tout cela, dans un fort beau texte.

 

11:19 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)