21/11/2021
Olivier Bérenval - Ianos, singularité nue
Olivier Bérenval est un nouvel auteur francophone plutôt rare (il n'a aucune nouvelle à son actif, et trois romans publiés depuis 2015), mais il fait partie de ceux, depuis ma lecture de Nemrod, que j'ai envie de lire avec attention. Son tout premier roman, Ianos, singularité nue, m'avait jusqu'ici échappé. Rattrapons la chose.
En 2028, une expérience du CERN, cet énorme accélérateur de particules installé à la frontière franco-suisse, devient incontrôlable, et tout la région est subite annihilée: elle disparaît corps et bien de notre univers, avec ses millions d'habitants.
Un peu moins de dix ans plus tard, une singularité – ici pas vraiment un trou noir, mais en tout cas quelque chose d'hyper-massif – apparaît au-delà de l'orbite de Jupiter, et pourrait bien menacer le système solaire tout entier.
Quel peut-être le lien entre les deux événements? C'est ce que devrait découvrir une mission spatiale lancée vers la singularité, afin d'en déterminer la dangerosité, pendant que le monde entier fait face à des vagues de troubles comme on en attendrait à la veille de l'apocalypse.
Une chose me semble claire à la lecture de ce fort pavé d'Olivier Bérenval: celui-ci a lu et assimilé quelques modèles anglo-saxons de gros calibre, tels que les romans de David Brin (Terre, par exemple) ou de son comparse Gregory Benford (L'Ogre de l'espace). L'auteur nous invite à suivre le parcours d'une dizaine de personnages: des scientifiques pour l'essentiel, mais pas seulement, mais à la différence de ses modèles, il introduit un éclatement temporel du récit qui fait qu'on l'on passe dans un désordre apparent d'une époque à l'autre. C'est assez déstabilisant au départ, mais on est finalement amené à comprendre le pourquoi de la chose.
Il reste qu'il s'agit là d'un premier roman, avec certains défauts: la psychologie de certains personnages est parfois juste survolée. Certains fils narratifs sont abandonnés. Mais on y distingue clairement les caractéristiques d'un bon auteur en devenir.
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23/10/2021
Pierre-Barthelémy Gheusi et Charles Lomon – Soroé, reine des Atlantes
De la fantasy française datant de 1904, cela se peut-il donc?
Les éditions Callidor nous en apportent une fois de plus la preuve avec Soroé, reine des Atlantes, de Pierre-Barthelémy Gheusi et Charles Lomon. Il s'agit-là de l'édition d'un manuscrit datant des années 1940, rédigé par Gheusi seul, et révisant en profondeur un roman paru initialement en feuilleton en 1904 et signé par les deux auteurs. Mais de quoi est-il donc question?
Un groupe de jeune barbares tentés par l'aventure prend la mer, avec à sa tête deux jeunes hommes, dont un est le fils d'une femme venue bien des années auparavant d'une contrée inconnue du sud. C'est vers cette contrée que les aventuriers vont voguer, et celle-ci est tout simplement l'Atlantide, sur laquelle règne la toute puissante reine Yerra, une magnifique jeune femme, qu'on dit d'ailleurs éternelle, dotée d'un savoir immense.
Cette Atlantide est en proie à des tensions fortes: le culte des dieux bienveillants a été évincé, avec le soutien de la reine, par le cruel culte de l'Or et du Fer, qui pratique volontiers le sacrifice humain. Mais la révolte gronde dans les provinces du Nord, où un grand seigneur songe à épouser la petite-fille du dernier grand prêtre des dieux bienveillants, et à s'associer ainsi à ce culte dans sa quête du pouvoir.
C'est dans ce contexte qu'arrivent, de façon inattendu, Argall, Maghé et leurs compagnons.
Commençons par les défauts: comme souvent avec les romans écrits à la manière des feuilletonnistes d'avant-guerre, les personnages ne brillent guère par leur psychologie. On a ici un roman qui aurait pu être signé Paul Féval ou Ponson du Terrail, avec des personnages attachant certes, mais à la limite de la caricature. Cependant, le genre en voulait ainsi, et ces personnages sont parfaitement adaptés à une intrigue chargés en rebondissements, dynamique, et qui forme au final un roman dont les pages se tournent à toute vitesse.
L'intrigue elle-même est en effet profondément originale pour l'époque. Nous ne sommes pas ici dans une proto-fantasy qui décalque les codes et les manières des romans médiévaux, mais bel et bien dans quelque chose de neuf. L'Atlantide de Gheusi et Lomon n'est pas grecque: elle est autre chose. Les deux auteurs ont tenté de bâtir une civilisation inédite, et ils l'ont fait avec brio.
Comme ne peut que le noter Brian Stableford dans le texte qui sert de postface, ce roman n'a connu aucune descendance littéraire, il n'a eu aucune influence... Quoi que... Si, de fait, il n'a pu influencer la fantasy épique anglo-saxonne, qui nous arrivera à partir des années 1970, je me demande s'il n'a pu influencer un tout autre genre: celui du péplum européen (et notamment franco-italien) des années 1950-1960. Prenez Hercule à la conquête de l'Atlantide, de Vittorio Cottafavi (1963), ou encore Hercule et la reine de Lydie, de Pietro Francisci (1959), secouez très fort et vous verrez surnager un grand nombre de thèmes et de motifs qui se trouvent déjà tels quels dans Soroé. De fait, durant toute ma lecture de ce roman, je n'ai cessé de voir le personnage d'Argall avec la tête de Steve Reeves. Alors, moi qui adore ces péplums aussi désuets que pleins de charmes, autant dire que j'ai adoré Soroé reine des Atlantes.
09:47 Publié dans Livre, Planète-SF | Lien permanent | Commentaires (1)
03/10/2021
Mes lectures des six derniers mois ‑ Romans - 2e salve
En fait, j'ai tellement lu ces six derniers mois, que j'ai oublié de chroniquer certains livres la semaine dernière. Les voici donc.
Robert Reed - Le Grand vaisseau (2014, Le Livre de Poche).
Dans une Voie Lactée où se côtoient une multitude de civilisation, celle des humains, un temps retardataire, a fait du chemin. Et ce sont les humains qui sont parvenus à atteindre les premiers un gigantesque artefact survenu du lointain espace: un vaisseau de la taille de Jupiter, totalement vide. Ils s'en sont donc emparés, et ont tâché de le comprendre, sous l'égide d'une caste, celle des capitaines, tous immortels.
Donc voilà, on a un grand vaisseau, et pas un vaisseau, des capitaines, et pas de simples membres d'équipage, une chronologie qui s'étale sur des siècles, et non des années, et une histoire de naufragés. Mais voilà, un roman médiocre, même si tout y est présenté à la puissance dix, reste un roman médiocre. Médiocre puissance 10. Là où le sujet devrait susciter l'émerveillement, il n'apporte finalement que de l'ennui. D'autant plus que le postulat reste pour le moins étrange: on s'empare d'un vaisseau de la taille d'une planète, on apprend à le maîtriser, et on en fait... un cargo de croisière de luxe. Dans le genre monde artificiel immense où coexistent des tas de culture, et dont le cœur fondateur reste inconnu, lisez plutôt L'Ambassadeur des ombres de Christin et Mézières.
Maurice Druon - Les Rois maudits (intégrale, 1996, France Loisir).
Voilà un cycle dont j'avais trop longtemps retardé la lecture. J'étais curieux de voir comment un auteur talentueux, Druon, pouvait s'emparer de quelques décennies d'histoire de France réelle, pour en faire un roman. 1600 et quelques pages plus tard, je ne suis pas déçu. J'ai pris évidemment soin de garder à l'esprit que Maurice Druon a écrit un roman, et non un manuel d'histoire, et donc qu'il a fait ses choix dans les diverses hypothèses des historiens, et parfois il a un peu tordu la réalité. Mais c'est pour la bonne cause. Les Rois maudits se lisent d'une traite, avec certes quelques temps mous, mais aussi nombre de temps très fort (l'élection du nouveau pape à Lyon, la mort du bébé de Clémence de Hongrie, etc.). Maurice Druon n'est ici pas un grand styliste, mais il est un formidable conteur, et ses Rois maudits sont les dignes successeurs des grands feuilletons du XIXe siècle. Un régal.
Olivier Bérenval - Le Janissaire (2020, Mnémos).
J'ai eu l'occasion de dire beaucoup de bien du précédent roman d'Olivier Bérenval, Nemrod, aussi étais-je impatient de lire son nouveau roman, Le Janissaire, qui d'ailleurs se passe dans le même univers. Un crime a été commis sur la planète Khataï, et pour résoudre l'affaire, on envoie sur ce monde reculé un janissaire: autrement dit un homme dont on a effacé le passé pour en faire une créature calculatrice, bardée d'implants en tous genre, ayant les pleins pouvoirs, et donc à même d'exécuter toute personne qui bloquerait son enquête. Un tueur, donc. Le hic, évidemment, est que rien ne va se passer comme prévu, et, suite à une rencontre avec un mouvement rebelle, le Janissaire va prendre conscience de ce qu'il est vraiment. D'amplitude plus restreinte que celle de Nemrod, l'intrigue du Janissaire s'avère classique, mais très bien menée. Elle permet d'approfondir certains éléments restés obscurs dans le roman précédent. Toutefois, Le Janissaire peut se lire de façon tout à fait indépendante, et il se lit avec plaisir.
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