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29/07/2012

Jean et Doris Le May - Les Trésors de Chrysoréade

Chrysoréade.jpgChrysoréade est un monde mort. Entré en collision avec une autre planète et depuis soumis à une pluie permanente d'astéroïde au niveau de son équateur, il n'est plus qu'une coquille vide, sans atmosphère, abandonnée de sa population depuis des décennies.

Mais Chrysoréade est aussi un monde-musée, car les Chryséens furent autrefois des artistes libres et universellement reconnus. Aussi vient-on en croisière visiter les monuments qu'ils ont laissés, parfois intacts, derrière eux. Et dans un des batiments on exibe à la curiosité des visiteurs quelques uns des joyaux créés par les plus fameux des artistes chryséens. Jusqu'à ce que deux d'entre eux soient volés au nez et à la barbe de la sécurité, et bien sûr d'Interco...

Les Trésors de Chrysoréade (1973), de Jean et Doris Le May, fait partie de leurs romans dont il est difficile de dire du mal, et dont on sait en même temps qu'ils ne sont pas parfaits. Comme cela leur arrive trop souvent, ils ont bâti leur structure narrative en deux parties, la première étant totalement différente de la seconde, tant par le ton que par le style, ce qui a pu me faire penser (notamment dans le cas de Vacances spatiales, mais le roman Il était une voile parmi les étoiles a le même défaut), que les deux parties péexistent puis qu'elles sont collées ensemble artificiellement.

Ici la première partie est remarquable. Les Le May procèdent efficacement en donnant d'abord un descriptif du cadre - Chrysoréade, puis le vaisseau de croisière - avant de passer à la description des personnages principaux, en une série de portrait hauts en couleurs, brillants et parfois drôles. Une mise en place vraiment intéressante - et qui n'est d'ailleurs pas sans faire penser à Valérian, la BD de Christin et Mézière, notamment à l'épisode Sur les Frontières dont on peut se demander si le style des Le May ne l'a pas un brin inspiré...

Cependant, suite au vol, on passe rapidement à une deuxième partie qui évacue l'essentiel des peronnages présentés auparavant, pour mettre en valeur des enquêteurs d'Interco pour une fois plutôt fades. Pire, cette partie est terriblement bavarde, sans éclats, malgré l'idée remarquable qui la soutend.

Malgré cela, on lit ce petit roman sans déplaisir, pour passer le temps, ce qui n'est déjà pas un mal. Mais ça n'est pas un grand Le May. 

28/07/2012

Justine Niogret - Chien du Heaume

livre-chien-du-heaume.jpgChien du Heaume, premier roman de Justine Niogret, est un phénomène éditorial. Prix Imaginales 2010, Grand Prix de l'Imaginaire 2010, des critiques (sur blog ou en revue) unanimes: pour commencer une carrière, on a vu pire. Pour ma part j'ai lu ce roman lors de sa remise du GPI, et sur le coup, je ne me suis pas préoccupé plus que ça, en dehors d'une brève intervention sur le forum d'Actu SF, dans laquelle je disais:

"Fini hier soir après... 5h de lecture.
Voilà un bon roman pour les boulimiques, ceux qui n'aiment pas les fleuves aux eaux croupies comme on en voit trop souvent en fantasy. C'est vif, alerte, ça ne perd pas trop son temps. Le personnage de Chien est extra.
Maintenant les "moins": 
- Dans le fond, ça m'a un chouilla trop rappelé Le Trône de Fer, notamment les séquences autour de John Snow, autre bâtard dans la neige. Ceci-dit, ça soutient la comparaison sans problème.
- Des défauts structurels, déjà signalés. Il manque une ligne de conduite, un fil narratif un peu plus cohérent, et du coup, la chute, bien qu'attendue, tombe un peu vite.
- La langue. Ca m'embête un peu de dire ça, mais elle fait un peu plaquage. Les pseudo-archaïsmes langagiers me semblent artificiels (peut-être parce que j'ai trop l'habitude de lire des textes anciens?). C'est dommage parce que l'auteur a fait une belle recherche de vocabulaire, mais quand on a des "si fait" dans des phrases qui autrement ont une syntaxe moderne, ça me gène.
Enfin, ça me gène... pas plus que ça quand même, puisque ça ne m'a pas empêché de dévorer ce roman. 
Un bon moment de détente, et je n'en demandais pas plus. A lire."

 

Et depuis, les éloges n'ont plus cessé. Mais quelque part, cela reste étonnant. En y réfléchissant bien, et le temps passant, plus ça va, et plus les défauts me reviennent en mémoire. L'absence de construction solide du fil narratif, par exemple. Cela donne une impression de nouvelles juxtaposées et rattachées artificiellement. Après, je ne sais pas si cela est compensé dans la suite que l'auteur a donné à son roman, Mordre le bouclier, que je n'ai pas encore lu. 

Par contre, un point qui devient de plus en plus rédhibitoire (quoi que ce mot est sans doute un peu fort) à mes yeux est le style pseudo-archaïque. Donc, lorsqu'on écrit un roman de fantasy, on aurait le droit de truffer son texte de mots pseudo-médiévaux. Pourquoi pas. Mais alors quand on écrit un roman se passant dans l'antiquité, doit-on employer le grec ou le latin? Et que dire des romans qui se passent dans des pays étrangers? En Allemagne, par exemple? Doit-on y sprechen Allemand pour faire lokalen Stil? Je ne crois pas que ça se fasse, non. En tout cas à mes yeux de lecteur régulier de textes médiévaux, c'est abusif et inutile, sauf dans les parodies.

Tout ça pour dire que Chien du Heaume est un bon premier roman, mais pas un grand roman. Du coup je m'interroge sur l'effet étonnant qui l'entourre: prix, critiques, etc. En dehors de quelques remarques ponctuelles sur la construction de l'oeuvre, rien. Sauf peut-être chez Gromovar. Y aurait-il eu effet de foule? Cela-dit, tant mieux pour l'auteur: elle a clairement du potentiel! Sa créature, Chien du Heaume, est un personnage extraordinaire, bien construit. Bien sûr, on a déjà vu des personnages d'aventurières en fantasy, mais pas de ce genre, pas laide, pas blessée à ce point. Mieux, Justine Niogret sait poser une ambiance, une scène, à l'aide de descriptions minutieuses, mais aucunement lourdes. On aimerait juste un peu plus de lien entre lesdites scènes.

Pour finir: la couverture chez J'ai lu est juste immonde (il y a eu deux versions, mais l'une est à peine mieux que l'autre). Alors je sais bien, c'est plus cher, mais achetez-le en édition originale, chez Mnémos. 

 

25/07/2012

Robert Charles Wilson - Julian

Julian.jpgIl y a des livres dont il est difficile de parler, non pas parce qu'ils sont mauvais, mais parce qu'ils suscitent au lecteur une foule d'interrogations, de réflexions. Julian, de Robert Charles Wilson, est de ceux-là.

L'action débute en 2172, dans une Amérique qui a régressé au stade civilisationnel du XIXe siècle. Des décennies auparavant, la fin du pétrole a provoqué une grave crise économique, qui, faute d'être gérée convenablement, a plongé le monde dans le chaos. Bien des technologies furent abandonnées car redevenues trop honéreuses. Les plastiques, par exemple, ne sont plus que de lointains souvenirs, de ceux dont on découvre les lambeaux dans les dépotoirs, terme sous lequel on désigne les ruines des anciennes villes abandonnées. L'Amérique est soumise au Dominion, un rassemblement autoritaire d'églises qui régit toute la vie morale et scientifique du pays. Les livres sont soumis à l'imprimatur, les pensées contraires à la Bible sont interdites. Pas question par exemple de parler d'évolution des espèces.

C'est dans ce contexte que vit Julian Comstock. Son père était un général victorieux, assassiné par jalousie par son propre frère, Deklan, président des Etats Unis. Deklan est en effet un tyran - ce qui arrange bien les affaires du Dominion - qui se voit en conquérant et donc entretient depuis de longues années une guerre épuisante contre les Européens installés au Labrador, Européens globalement désigné sous le terme de "Hollandais". Dans l'espoir de se débarrasser de son encombrant neveu, déjà exilé dans un petit village provincial, Deklan organise une conscription. Julian, son ami Adam - un paysan - et son mentor Sam - un vétéran de l'armée de son père, se retrouve enrôlé et doit alors faire ses preuves au combat, un combat absurde, dont le seul objectif est, plus que de vaincre l'ennemi, de conduire le jeune homme à la mort. 

Mais Julian s'avère invulnérable, audacieux, héroïque. Mieux, Adam fait publier, au prix de circonstances cocaces, un récit de ces exploits qui rend le jeune homme extrêment populaire. A l'issu d'une nouvelle boucherie sur le front, Deklan est déposé par l'armée, et Julian nommé président par intérim.

"Apostat. Fugitif. Conquérant". Voilà le sous-titre que l'éditeur français a cru bon d'ajouter à la place du titre original. Cela permet évidemment d'orienter le lecteur vers d'autres références que celles de l'histoire américaine. Julian est Julien l'Apostat, et le récit de Wilson pourrait passer sans trop de difficultés pour une adaptation moderne de la vie de l'ancien empereur romain. Certes, bien des détails varient, mais l'essentiel est là, de l'enfermement durant sa jeunesse à l'accession au pouvoir après une série de campagnes militaires victorieuses. De même le Julian philosophe et agnostique répond au Julien, lui aussi philosophe et initiateur d'un édit de tolérance. L'un comme l'autre se mettent à dos le christianisme et lui opposent la philosophie (au point d'être barbus, à la mode des philosophes). L'un comme l'autre sont populaires au sein de l'armée, mais se révèlent de piètres administrateurs.

La démarche de Wilson est ici déjà intéressante en soi. Cependant elle serait un peu vaine s'il n'y avait que cela. Le propos de l'auteur n'est évidemment pas seulement un propos d'historien, mais aussi et surtout un propos politique. Sa charge contre l'obscurantisme religieux est vigoureuse. Le néo-puritanisme prôné par le Dominion et la constitution sociale de cette Amérique du du XXIIe siècle ne sont finalement que des exagérations bâties sur ce que voudraient les mouvements conservateurs actuelles, qui préfèrent l'ignorance dans la foi au savoir athée. Il est assez intéressant de noter que Wilson, qui est Canadien et non Américain, signale comme ilôts de tolérance New York, mais aussi le Québec (toujours francophone)... et la France méditerranéenne qu'il décrit presque comme un paradis sur Terre et ou, "malgré leur rivalité perpétuelle, les musulmans et les chrétiens ne se sont pas entretués depuis des décennies, du moins pas à grande échelle."

Le savoir et la tolérance face à la religion et à la haine. Un message qui tranche face à une certaine production de la SF nord-américaine actuelle (qu'on pense à Dan Simmons, par exemple).

Pour autant, est-ce un message optimiste? On sait comment Julien - le vrai - a fini. On sait comment l'Eglise a fini, un siècle et demi plus tard, par vaincre une bonne fois pour toute les philosophes en fermant l'école d'Athènes...

Notons pour finir que si le roman de Wilson est riche de cet arrière-plan à la fois historique et philosophique, il n'en est pas pour autant illisible. Wilson a fait en effet le choix de la simplicité narrative, en confiant le récit à Adam, ce jeune paysan ami de Julian et qui, du fait qu'il sait lire et écrire, a toujours voulu être écrivain. Ainsi Wilson se coule-t-il dans un style simple, faussement naïf, mais qui sert admirablement son propos. Tout au plus lui reprochera-t-on certaines longueurs (mais quand donc les auteurs anglo-saxons réapprendront-ils à être raisonnables avec la taille des romans!). 

Bref, Julian est un roman on ne peut plus recommandable.