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06/08/2011

Vladimir Bortko - Tarass Boulba

Oui, vous avez bien lu: j'ai écrit Tarass Boulba. Le titre du fameux roman de Nicolas Gogol, mais accolé à un nom totalement inconnu sous nos contrées, Vladimir Bortko. Car il s'agit d'un film, sorti en 2009, et disponible cette année en DVD en France.

Comment? Vous ne l'avez pas vu dans les bacs? C'est normal. Un obscur commercial, autrement dit un crétin décérébré, en tout cas une pauvre larve sous cultivée a cru bon de le sortir sans nom de réalisateur sur la jaquette et sous le titre infâme de Barbarians. Oui, là encore vous avez bien lu: Barbarians, pour un film adapté de Tarass Boulba de Nicolas Gogol. Parce que Gogol, n'est-ce pas, c'est juste un obscur écrivaillons que personne ne lit plus. A peine mieux que La Princesse de Clèves, quoi?

Bref, passons. Ici je ne vous parlerais pas de Barbarians, d'autant plus que ce titre était déjà collé à un affreux navet des années 80...

Barbarians.jpg

... mais bien de Tarass Boulba, parce qu'autrement j'aurais trop mal à ma culture.

Taras.jpg

Ce film de Vladimir Bortko est déjà la quatrième adaptation du roman de Gogol, et elle est clairement ambitieuse, et raté. Amibitieuse car, jouissant d'un très gros budget (grâce à une grosse subvention étatique), Bortko s'est donné les moyens d'une reconstitution historique visuelle remarquable. Costumes, décors, tout y est. C'est visuellement somptueux, et on a maintenant plus l'habitude de ce genre de choses dans le cinéma asiatique que dans le cinéma européen. Mais il faut dire que Sergueï Bodrov avait déjà ouvert la voie avec le médiocre Nomad, et le bien plus intéressant Mongol.

Mais en plus de ces décors somptueux, Bortko s'est payé de très bon acteurs. Bogdan Stoupka est absolument fabuleux dans le rôle de Tarass Boulba. Les deux fils sont très bien joués par Igor Petrenko et Vladimir Vdovitchenkov (qu'on a tous deux plus l'habitude de voir dans les films de gros bras: The Interceptor pour le premier; Contagion - Paragraph 78 pour le second). Quand a la fille du gouverneur polonais, elle est incarnée par l'actrice polonaise Magdalena Mielcarz, si lumineuse malgré qu'il ne s'agit que d'un second rôle, qu'on comprend bien qu'Andreï Boulba se soit damné pour elle...

Voilà. De très bon ingrédients: un scénario en or, des acteurs parfaits, des décors et costumes impécables. Mais...

Une musique à chier. Il n'y a pas d'autres mots. C'est proprement atroce de mièvrerie, à grands coups de pseudo ocarina synthétique. Le pire est que dans le film, on célèbre régulièrement les kobzars, ces chanteurs interprètes d'épopées à la gloire des cosaques. On aurait au moins pu s'attendre à des airs de bandura. Mais c'était peut-être trop demander.

La réalisation aussi est un brin souffreteuse. Si Bortko a été capable de filmer des scènes de combats ayant vraiment beaucoup de panache, ses intérieurs sont juste dignes d'un bon téléfilm.

Enfin, il faut absolument pointer un problème majeur: le nationalisme du film, et un nationalisme mal placé. Les héros sont des cosaques zaporogues. Les ancêtres des actuels Ukrainiens. Mais tous les personnages n'ont à la bouche que leur sacro-sainte terre russe. Or les cosaques du XVIe siècle n'en avaient strictement rien à faire de la Russie, c'est-à-dire alors la Grande Moscovie. Il faut dire que Bortko, réalisateur lui-même d'origine ukrainienne, revendique l'absence de division entre les deux nations. C'est proprement stupide. Mais bref, c'est tout de même un tantinet agaçant. Quand on voit sur la jaquette française que c'est recommandé par Historia, on comprend bien pourquoi ce magazine est décidément médiocre.

Concluons toutefois par une bonne note: la scène relatant la défaite de Taras Boulba. Une scène totalement incompréhensible pour le spectateur français s'il ne connaît pas un minimum les chants épiques slaves, et spécialement ukrainiens. On y voit en effet Tarass en bon chef de guerre, qui, régulièrement, demande: "Seigneurs, reste-t-il assez de poudre pour nos fusils" ou bien une question approchante. Alors un cosaque répond oui, puis tombe sous les coups adverses tandis qu'un narrateur en voix off narre ses exploits passés. C'est là un artifice propre aux dumy, les chants épiques ukrainiens. Or Gogol lui-même avait participé au XIXe siècle à la collecte de ces chants: il en avait envoyé quelques uns à Hilferding, le grand collecteur de chants épiques de Russie (qui a lui même édité des bylines). Je peux concevoir donc que cette scène puisse passer pour ridicule auprès d'un spectateur français peu habitué à cela, mais pour moi l'effet est saisissant. On y retrouve des expressions entièrement calquées sur les dumy, et cela m'a singulièrement donné le frisson, comme j'imagine cela le donnait aux auditeurs des kobzars.

Tarass Boulba est donc un film raté. Pas nul, ni mauvais, mais raté. Car pas à la hauteur de ses ambitions. Il reste qu'il n'est pas déplaisant à voir, qu'on n'y perd absolument pas son temps.

 

Et si vous voulez découvrir les chants épiques ukrainiens, tâchez de trouver ce livre:

Marie Scherrer, Les Dumy ukrainiennes. Epopée cosaque. Textes ukrainiens et traductions intégrales avec une introduction et des notes, 1947, Paris, Klincksieck.

Il contient des merveilles.

 

Le cosaque s'aperçoit que la faim et la soif ont épuisé ses forces,

Il arrive au Mont Savur,

Y monte puis redescend,

Se couche au pied du tertre, prend du repos,

Médite longuement.

Il est sans force pour ouvrir ses yeux,

Pour se dresser debout,

Pour lever sa tête de cosaque.

21:49 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (0)