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26/08/2011

Leigh Brackett - Le Grand Livre de Mars, t. 1

Eh oui, il m'arrive de lire de la fantasy... si si, d'autant plus quand il s'agit en fait de science-fiction (et paf pour les étiquettes!).

De Leigh Brackett, j'avais déjà lu il y a quelques années dans la célèbre collection d'Opta, le CLA, Alpha ou la mort, suivi surtout de Le Recommencement, deux très bons romans. Et avant cela, j'avais fait connaissance avec le héros Eric John Stark, en lisant, à la fin de mon adolescence, la trilogie de Skaith dans l'édition pourtant hideuse d'Albin Michel en 1987. Si je ne me souviens plus trop de l'histoire, je me souviens encore de ce personnage, Stark, et de ce monde mourrant aux décors si flamboyants.

Et là, en 2008, le Bélial' a la bonne idée de regrouper tout ce que Brackett avait écrit sur la planète Mars, et donc des textes antérieurs, avec le même personnage. Angoisse. Je ne suis plus adolescent, allais-je encore aimer? De tergiversations en manque de fonds, je me suis finalement décidé à la sortie en poche de la chose, en deux tomes chez Pocket. Et le premier fut lu en tout juste trois jours.

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Le tome 1, donc, contient deux romans. Eh oui. En 314 pages, deux romans. Nous parlons donc du bon temps où l'on pouvait sans crainte acheter un livre: s'il s'avérait mauvais, on avait juste le regret d'avoir perdu quelques heures sur 200 pages maximum, à la différence de maintenant où l'on peut maudire l'éditeur pour les 600 pages délayées à 35€. Passons.

Deux romans, donc. D'abord, L'épée de Rhiannon, dont le héros n'est pas Eric John Stark, mais Matt Carse. Carse est prétendument un archéologue, en fait plutôt un aventurier érudit, en fait un aventurier tout court car Brackett ne nous livre absolument aucun détails sur son passé. Officiellement publié en 1953, ce roman porte en fait la marque des années 40. Il va à l'essentiel: dès la première page l'auteur nous entraîne dans l'action. Autant dire que l'on ne tient pas là une grande oeuvre littéraire, mais quelque chose d'efficace, qui en trois mots vous met dans la tête un paysage, et surtout enchaîne les péripéties, parfois de façon artificielle (les Sarks pensent détenir un espion, et au lieu de l'interroger, ils l'envoient directement aux galères...). Bref, un roman distrayant, sans plus, pas encore du grand Brackett.

D'une tout autre trempe est Le Secret de Sinharat. Stark est un mercenaire terrien, élevé toutefois chez des sauvages de Mercure (oui, chez Brackett, toutes les planètes ont leur humanité propre). Aventurier sans scrupules, sa seule valeur fondamentale est la liberté, et à ce titre il préfère lutter contre l'asservissement des peuples, fussent-ils d'affreux barbares du désert. Convoqué par Delgaun de Valkis, un potentat local, pour participer à l'entrainement d'une armée de sauvages qui rêvent de conquérir le monde, Stark, rattrapé par un passé qui risque de l'emmener en prison, doit en même temps jouer la carte d'agent terrien et donc faire en sorte que ces projets belliqueux n'aboutissent pas.

Et l'on tient là un grand roman. Non pas par la taille, donc (114 pages!), mais par le fonds, le style, tout. On retrouve la qualité de Brackett a dépeindre une ambiance et une situation en trois mots, mais elle a su en plus donner de l'épaisseur à Stark, une épaisseur que d'autres auteurs soit disant plus modernes ne parviennent à donner à leurs personnages qu'au bout de 5 ou 6 tomes. Bref, Stark est le genre même à faire plonger Elric dans une oubliette, et Michael Moorcock fait justement preuve d'une grande honnêteté dans sa préface en avouant tout ce qu'il doit à Leigh Brackett.

Le Secret de Sinharat, c'est Eric John Stark, mais aussi une Mars fantasmée, superbe et sauvage, où les hommes sont des guerriers, et les femmes sublimes et donc nécessairement vénéneuses. Caricatural, me direz-vous? Oui, mais on s'en fiche. Car il s'agit-là de condensé de sense of wonder.

Alors rien que pour cela on pardonnera à Pocket la mention de "par la scénariste de L'Empire contre-attaque" et au Bélial', l'éditeur originel, la préface de Moorcock, sympathique, mais qui n'est finalement qu'une liste informe d'auteurs qui auraient été influencés par Brackett: d'elle on n'apprendra finalement rien dans cette préface. On leur pardonnera, donc, si ces deux références maintenant autrement plus prestigieuses peuvent faire revenir du monde à la lecture de Leigh Brackett.

Quand à moi, le tome 2 m'attend, puis je me plongerai sans doute dans Les Océans de Vénus, avant de revenir en pèlerinage sur Skaith.

12/08/2011

Vladimir Khotinenko - 1612

En France, lorsqu'on subventionne le cinéma, c'est le plus souvent pour faire des FFCAJBD - Films Français Chiants Avec Jeanne Balibar Dedans, variante moderne du FFCAERR, Film Français Chiant Avec Eric Rohmer Réalisateur. Du film faussement intellectuel, ennuyeux au possible. En Russie, tant qu'à faire du vide de sens, on préfère subventionner des choses à grand spectacle. Cela donne des choses parfois ratées, comme le Tarass Boulba dont j'ai parlé récemment, et puis parfois d'authentiques réussites de cinéma populaire, comme le 1612 de Vladimir Khotinenko, une production de Nikita Mikhaïlkov (2007 en Russie, sorti en 2011 en DVD en France).

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C'est juste histoire de vous montrer ce que c'est que je poste ici la jaquette du DVD, et je ne mettrai pas de lien vers la bande annonce en français: l'un comme l'autre sont trompeurs, voire mensongers, une fois encore: 1612 est présenté comme un pur film de guerre, ce qu'il n'est absolument pas. Mais voilà, il faut vendre. La trahison du distributeur français est cependant moindre que dans le cas de Tarass Boulba.

1612, donc. Andreï est un serf, chargé avec tout un groupe d'esclave, de haler des navires sur un fleuve. Cinq ans aupavarant, il était page à la cour des Godounov, lesquels furent massacrés sous ses yeux par des Polonais. Or voilà que sur un des navires qu'il tire, chargé de mercenaires, il retrouve la princesse Xenia Godounov. Avec audace, il parvient à se faire racheter par un condotière espagnol sans foi ni loi, et se lie d'amitié avec son serviteur tatar. Mais voilà que bientôt l'Espagnol est tué lors d'une ambuscade. Andreï, qui a été racheté sans contrat, peut dès lors être considéré comme un serf en fuite, et donc être condamné à mort. Qu'à cela ne tienne: il va usurper, avec la complicité active du Tatar, l'identité de son maître. Ce qui va bien sûr l'entraîner fort loin...

Car Andreï doit assumer son rôle, celui d'un puissant mercenaire, payé fort cher par les Polonais, et devant donc prouver sa valeur. Mais il jouit de deux atouts: tout d'abord une mémoire extraordinaire, qui lui permet de répéter à la perfection les rares mouvements d'escrime qu'il a pu voir chez l'Espagnol; mais aussi sans doute la protection conjointe des mânes de celui-ci, qui l'accompagnent et semblent le soutenir tout le long de ses aventures, et d'Indrik, la Licorne, l'animal fabuleux qu'il s'est choisi pour "totem". Andreï est donc chanceux, très chanceux, et culoté au plus haut point. Il parvient sans cesse à se sortir des situations les plus rocambolesques.

Et c'est là le point fort du film: non content d'être un récit d'aventures picaresques (et non un film de guerre), il est aussi fort drôle. En cela, il rappelle singulière Pirates des Caraïbes; et le rôle principal, tenu par Piotr Kislov, aurait fort bien convenu à un Johnny Depp!

Bref, de l'aventure, de l'action, du panache, beaucoup d'humour, un brin de fantastique et même de fantasy, mais aussi quelques aspects trash (il faut bien mériter la mention "version intégrale non censurée"), car les scènes de guerre sont tout de même décrites dans toute leur cruauté. Ce cocktail fait de ce film une oeuvre appartenant au grand cinéma populaire. Une réussite, à laquelle on aurait tort de reprocher, comme on a pu le faire, ses quelques accents nationalistes: un nationalisme bien fade, et pas plus fort que dans Les Aventures de Robin des Bois de Michael Curtiz ou dans l'Ivanhoe de Richard Thorpe.

1612, c'est donc 2h23 de bonheur. Quel dommage qu'il soit sorti directement en DVD: il méritait clairement d'être distribué en salle, bien plus que nombre de productions hollywoodiennes!

Franck M. Robinson - Destination Ténèbres

Drôle de livre que celui-là; de par son parcours, de par son thème. Publié en France plus de 20 ans après l'édition américaine, il est donc le contre-exemple de ce qui se pratique habituellement dans le petit monde de l'édition, à savoir ne surtout pas éditer d'inédit d'un auteur inconnu ou presque datant de plus de cinq ans (trop risqué... comprenez, prendre des risques, dans l'édition, quel horreur!). Mieux, son thème lui-même, celui des arches stellaires, ou vaisseaux-générations, n'est pas des plus originaux (dès 1978, Rémi Maure, alias Jean-Pierre Laigle, pouvait en donner une belle étude dans Fiction, n°291 à 294). Il fallait donc que ce Destination Ténèbres ait quelque chose de particulier.

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Or donc Moineau est membre de l'équipage de l'Astron, un gigantesque vaisseau armé il y a plus de 2000 ans, soit 100 générations, par la Terre, afin de partir explorer l'espace et tenter de découvrir s'il existe de la vie dans d'autres systèmes stellaires. Mais 2000 ans, c'est fort long. Partis 1800, les astros (c'est ainsi qu'ils se nomment eux-mêmes, ne sont plus, malgré les naissances, que 300, et deux des trois cylindres de l'engin ont finalement été évacués et abandonnés.

Seul reste inchangé le capitaine, Mickael Kusaka. Et pour cause: il est immortel, ou peu s'en faut, car on a voulu faire de lui le garant du bon déroulement de la mission. Son corps a été modifié afin de le rendre insensible à toutes maladies, de ralentir son vieillissement. Et surtout on a implanté dans son cerveau la volonté de ne rentrer que lorsqu'une vie sera découverte. Seulement voilà: rien n'a été trouvé dans ce bras de la galaxie. Le capitaine aurait alors l'idée de traverser la Nuit, le vide qui le sépare d'un autre bras plus dense en étoiles. Mais l'équipage a fait ses calculs: non seulement le vaisseau est usé, mais la baisse démographique fait qu'il n'y aura sans doute plus personne à bord lorsque l'Astron sera enfin arrivé de l'autre côté. L'heure est donc venu de la mutinerie. Mais quel rôle joue donc Moineau, un adolescent, amnésique suite à un accident sur un monde désert, et que tout le monde regarde d'un drôle d'oeil?

En voilà un étonnant roman. On ne peut pas dire qu'il s'agisse d'une grande oeuvre stylistique: Robinson est parfois un peu balourd dans sa narration, avec quelques répétitions d'un paragraphe à l'autre - quoi que l'on puisse imputer cela au fait que c'est Moineau qui est censé être le narrateur. Il a par contre l'art de mêler plusieurs genres avec aisance: roman de mer (on pense à Moby Dick, évidemment), thriller, et évidemment space opera. Et on peut même un peu, quelque part, ressentir une influence de Philip K. Dick, et se demander par moment (notamment lorsqu'il est question des observations de l'astro nommé Tybald) si l'ensemble de se vaisseau n'est pas en fait l'objet d'expérimentation par ces fameux ET qu'il est censé chercher (un sentiment accentué par le joli pied de nez que l'auteur nous fait à la dernière phrase de son roman, et par une jolie réminiscence, p. 142, du monologue final de Blade Runner, le film)! Robinson ne développe pas de sentiment d'enfermement (l'Astron est vaste, très vaste, et les falsifs, un ingénieux système de réalité virtuelle, compensent l'absence de paysage), mais réellement d'angoisse du vide.

On peut de plus sans conteste avouer qu'il fait bien preuve d'imagination. Son but n'est pas de nous livrer un roman hard science: il nous épargne fort heureusement tout le jargon scientifique qui encombre la plupart du temps les productions récentes de SF - on se contrefiche ici de savoir comment le vaisseau est propulsé, ou comment le capitaine a été traité médicalement. Car son propos est sociologique. Robinson nous décrit en détail ce que pourrait être une société isolée, en vase clôt, depuis 2000 ans et composée à la base de personnes d'origines multiples. Je ne suis pas du tout certain qu'il en aurait résulté une telle liberté sexuelle que celle qu'il nous montre (mais après tout si la sociologie était une science exacte, ça se saurait...), en tout cas sa société a le mérite d'être cohérente.

Au final, Destination Ténèbres n'est certainement pas l'oeuvre du siècle, mais un très bon roman, qui mérite vraiment le détour. Et qui surtout ne fait pas son âge, débarrassé qu'il est d'élément datants: l'oeuvre de Franck M. Robinson pourrait aussi bien avoir été écrite durant l'Âge d'Or de la SF américaine qu'actuellement: elle est autrement dit lisible par un très vaste public, et non seulement les amateurs hard core du genre. C'est ce qui fait sa force, sa qualité. Un roman qu'on relira avec plaisir dans dix ans, dans vingt ans. Qui sait dans 100 générations?