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28/12/2020

Mykhaïlo Kotsioubynsky - Ombres des ancêtres oubliés

Kotsioubinski.jpgMykhaïlo Kotsioubynsky (1864-1913) est considéré comme un des plus grands auteurs ukrainiens, un des fleurons de la brève renaissance de la littérature ukrainienne de la veille de la Première Guerre mondiale. Que connaissons-nous de son œuvre en France? Rien. En volume, il n'y a eu que les deux nouvelles parues dans ce volume, Ombres des ancêtres oubliés, paru en 1970 chez PIUF et réédité en 2001 chez L'Âge d'Homme. Les deux éditions sont maintenant indisponibles. Autant dire que c'est un auteur oublié.

Ombres des ancêtres oubliés, aussi nommée Les Chevaux de feu, prend place dans les Carpates ukrainiennes, chez les Houtsoules, de rudes paysans montagnards (ils furent les derniers d'Europe à voir leur terroir organisé en paroisses chrétiennes, au XVIIIe siècle). Elle suit le destin d'Ivan, coincé dans la rivalité entre deux familles, amoureux fou d'une jeune fille qu'il ne pourra épouser, et qui finira par se marier par dépit. Ombres des ancêtres oubliés est un texte fantastique dans tous les sens du terme: les croyances des Houtsoules, notamment en Aridnik, le diable, y prennent littéralement corps. Un texte puissant et beau. Chef d'œuvre? Sans doute.

Sur le rocher est aussi l'histoire d'un amour tragique. L'histoire prend place en Crimée, dans un petit village côtier de Tatars. Ali, l'aide turc d'un marchand grec de sel, est amoureux fou de Fatma, la jeune épouse d'un boucher tatar. Pourront-ils s'enfuir? Le texte est court, mais bouleversant.

Quitte à choisir entre les deux éditions, il faut préférer celle de chez PIUF, certes plus rare, notamment avec sa jaquette, mais fort belle, avec d'impressionnantes gravures de H. V. Yakoutovych.

 

Pierre Astier et Iryna Dmytrychyn - Nouvelles d'Ukraine

Ukraine.jpgParu en 2012 dans la collection "Miniatures" des éditions Magellan & Cie, Nouvelles d'Ukraine, anthologie dirigée par Pierre Astier et Iryna Dmytrychyn, se veut être un bref panorama de la littérature ukrainienne moderne - mais antérieure à la guerre civile toujours en cours. Elle a pour ambition, comme le dit Pierre Astier dans la brève préface, d'être le reflet de la diversité linguistique et géographique de cette littérature mal connue en France. Je regretterais juste au passage – mais c'est là un peu un plaidoyer pro domo – la totale absence du fantastique, alors que l'Ukraine ne manque pas d'auteurs brillants dans ces genres (Henry Lion Oldie, Vladimir Arenev, Yana Doubinianskaya par exemple).

Par nécessité, ce recueil est donc hétéroclite. Du Point de vue d'un brin d'herbe, d'Andreï Kourkov, est un joli texte qui décrit, du point de vue d'une femme encore engoncée dans la mentalité soviétique, la vie rurale en Ukraine, une ruralité presque coupée des villes. Cette femme pourrait même avoir vécu au XIXe siècle. Mariée on ne sait trop pourquoi, elle ne supporte plus son mari et ses poissons séchés qui empestent la maison.

Prof de tennis d'Oksanna Zaboujko (et non Zabouzhko, comme il est écrit dans le livre, dans une étrange translittération mi-anglaise mi-française – phénomène qui touche d'autres noms propres ailleurs), est sans intérêt. Cette nouvelle aurait pu être écrite par une autrice française: on y contemple plus son nombril qu'autre chose, et donc oui, au final elle se tapera le prof le tennis. Et on s'en fiche.

Drohobytch, de Youri (ou Iouri, mais pas Yuriy comme il est écrit ici) Androukhovytch n'a pas plus d'intérêt. D'autant plus que ce n'est visiblement pas une nouvelle, mais un article, sur la localité de Drohobytch et son passé, notamment durant la Seconde Guerre mondiale.

Le niveau remonte heureusement avec C'est ainsi de Taras Prokhasko, micro-nouvelle sur une histoire familiale complexe comme il y en a eu tant dans l'ouest de l'Ukraine. Mais elle reste anecdotique à côté de celle de Maria Matios sur le même sujet.

Atlas des routes d'Ukraine de Serhiy Jadan est un texte étrange, mi-nouvelle, mi-reportage, dans laquelle l'auteur se montre servir de guide à un photographe autrichien passionné de ruines industrielles. Leur secteur d'exploration: le Donbass, juste avant la guerre civile. Un Donbass qui n'est qu'usines en ruines, mines abandonnées, et chômeur alcooliques. Le texte est réaliste, et pourtant on se croirait dans la zone de S.T.A.L.K.E.R. (le jeu, pas le roman des Strougatski).

La nouvelle la plus longue du recueil est signée Maria Matios. Avec Apocalypse, elle offre une étrange et terrible chronique familiale de l'ouest de l'Ukraine, de Bucovine, une zone ravagée par le XXe siècle, d'abord par la Première Guerre mondiale, qui vit le départ des hommes, les exactions des Cosaques et des cavaliers tcherkesses (de nombreux enfants naissent alors que les pères sont mobilisés par l'armée austro-hongroise; les familles juives sont parfois décimées par les troupes russes), puis la Seconde Guerre mondiale, avec l'occupation roumaine et hongroise, et sa conclusion: l'expulsion, par le pouvoir soviétique, d'une grande partie des Juifs survivants vers la Roumanie. C'est du point de vue de deux familles de voisins, l'une juive, l'autre orthodoxe, deux familles intimement liées et solidaires, que Maria Matios décrit tout cela, dans un fort beau texte.

 

11:19 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

25/12/2020

Boris Lavrenev - Le Quarante-et-unième

Lavrenev2.jpgRevenons aux Éditions en Langues étrangères soviétiques, avec Le Quarante-et-unième, un recueil édité vers 1960 de trois nouvelles de Boris Lavrenev, un auteur dont je n'avais jusqu'ici jamais entendu parler. Il faut dire qu'il est essentiellement connu comme dramaturge, et n'a écrit qu'une poignée de nouvelles. J'ai acheté ce livre un peu par hasard, et j'avoue que la consultation de la fiche Wikipedia de l'auteur m'a sur le coup un brin refroidi, tant celui-ci semble avoir été un bolchévik pur et dur, traversant toute la période stalinienne visiblement sans grand soucis. Mais c'est à tort que j'ai eu ce réflexe, car, tout comme son contemporain Alexeï Tolstoï, Lavrenev s'avère, à la lecture de ces trois nouvelles, un auteur tout à fait remarquable.

Les deux premiers textes prennent place durant la Guerre civile. La première, "Le Quarante-et-unième", a pour cadre un endroit que Lavrenev connaît bien pour y avoir combattu lui-même: l'Asie centrale, et notamment le Turkménistan. Un groupe d'une vingtaine de combattant rouge, ultime survivants d'une compagnie décimée par les cosaques, s'enfonce dans le désert du Karakoum, avec pour objectif d'atteindre la mer d'Aral. En route, ils croisent une patrouilles de Blancs et en capturent l'officier. Celui-ci, un jeune homme, aurait dû être la quarante-et-unième victime de Marioutka, une femme qui combat avec les Rouges et qui est une redoutable tireuse d'élite. Mais pour une fois, elle manque sa cible. Plus tard, Marioutka et le jeune officier se retrouvent isolé sur une île de l'Aral, ce qui va amener à un choc de deux mondes.

Lavrenev1.jpgC'est aussi la confrontation de deux mondes que décrit Lavrenev dans "Le Septième satellite", qui nous montre la vie d'un ancien général durant la Guerre Civile. Bien que haut gradé (on lui donne du "Son Excellence"), il fait le choix de rester à Pétrograd, et de ne pas émigrer. Pourtant la vie lui est tout sauf simple. Il est arrêté, comme nombre de nobles et de gros bourgeois. Finalement libéré, mais sans logement, il fait le choix de devenir lessiveur pour la prison où il était auparavant enfermé, avant de rejoindre de lui-même l'Armée rouge. Le général, en effet, a compris que l'ordre des choses est en train de changer, qu'un nouvel État est en train de naître, et que si l'on peut ne pas être en accord avec ses idées, il ne sert à rien de s'opposer au cours inéluctable des événements.

La troisième nouvelle, "Une Cargaison pressée", sort du cadre de la Guerre Civile, pour nous emmener à Odessa deux ans après la Révolution de 1905. Une Odessa encore meurtrie, où se pressent cependant des navires battant de nombreux pavillons, et où finalement toutes les affaires sont bonnes à prendre, quel qu'en soit le prix.

Lavrenev s'avère avec ces nouvelles un auteur tout à fait fascinant. Bien que bolchevik, il est suffisamment subtil pour dresser un portrait réaliste de ceux-ci: il montre ses anciens compagnons d'arme comme des personnes assez mal dégrossies, voire tout à fait vulgaires. Marioutka tente bien de faire des vers, mais ils sont si mauvais qu'à son grand désespoir, ils sont publiés nulle part. Mais est-ce leur faute. Assurément non. Lavrénev ne cache pas la brutalité des Rouges, mais il montre que la cause première de ce caractère rustre est l'absence d'éducation, de considération, dont le peuple a été victime sous le capitalisme tsariste. De la même manière, il ne rejette pas tous les Blancs, en tout cas il ne les dépeint pas comme un bloc uniforme. L'officier du "Quarante-et-unième" est d'un caractère agréable, gentil même, mais si ancré dans sa condition aristocratique qu'il ne peut en admettre d'autre. Le général Adamov, lui, fait le choix de tourner le dos à sa classe, dont il reconnaît les défauts, en fustigeant ses généraux d'opérette qui ne supportent pas de ne pas pouvoir dormir dans un lit.

Ce qu'il y a de remarquable aussi dans ces textes, et qu'on y passe aisément de moments très drôles, avec des portraits hauts en couleurs des protagonistes, à de pures situations tragiques. De la belle littérature.

19:22 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)