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09/01/2014

Robert C. Wilson - La Cabane de l'aiguilleur

Mysterium.jpgParmi les choses notables ayant subi ma frénésie de lectures de vacances, il y eut le gros omnibus Mysterium, de Robert Charles Wilson, paru chez Denoël "Lunes d'Encre". Mais comme je ne me sens pas de taille à tout critiquer d'un coup, autant y aller roman par roman, en finissant par les nouvelles. Et donc, d'abord, La Cabane de l'aiguilleur, premier roman de l'auteur, datant de 1986. Nous sommes pendant la grande dépression, qui frappa les USA durant les années 1930. Travis Fisher est le fils d'une prostituée. Sa mère étant décédée, il est contraint de se réfugier chez sa tante et son mari, une baptiste rigoriste. Le mari, lui, dirige une fabrique de glace qui bat de l'aile, tout en entretenant chez lui une étrange maîtresse, une jeune femme à la beauté sans pareille, mais sur laquelle il est difficile d'apprendre quoi que ce soit. Isolé dans un milieu réactionnaire qui l'étouffe, Travis a pour unique soutien Nancy Wilcox, une jeune femme libre penseuse, qui croît en l'amour libre.

A des kilomètres de là, L'Os est un clochard parmi tant d'autres. Son aspect étrange, noueux, aux muscles placés là où nul humain n'en aurait, n'a qu'un seul but: rejoindre la source d'un appel, auquel il ne peut se soustraire, une source qui n'est autre qu'Anna, la mystérieuse hôte de l'oncle de Travis.

Il paraît donc que c'est un premier roman. On ne le croirait pas, tant, d'un point de vue structurel, ce récit ne souffre guère de défauts. On sent que Wilson s'est d'abord fait la main sur des nouvelles, et de fait, cette Cabane de l'aiguilleur en a souvent la saveur: on a plus l'impression d'une longue novella que de ces romans fleuves à multiples fils narrateurs que l'on produit actuellement. Et c'est tant mieux! Sobre, La Cabane... en est diablement efficace pour décrire les effets de la crise de 1929 que la vie au sein d'une petite ville baptiste, où la religion tient lieu de seul et unique mode de vie convenable. Un mode de vie qui ne propose que deux voies aux gens: s'y plier, ou s'enfuir. Ce fond culturel, finalement, est bien plus intéressant que l'énigme que nous propose Wilson, même si ici il esquisse des thèmes qui reviendront régulièrement dans son oeuvre, comme la communication avec d'autres univers, totalement étrangers. L'auteur nous offre un portrait saisissant d'une société qu'il aime visiblement explorer: l'Amérique profonde (et pas seulement les USA), dont il reparlera dans Mysterium et dans Julian, une Amérique religieuse, façonnée en profondeur par des interprétations rigoristes de l'Ancien Testament.

La Cabane de l'aiguilleur est pour le coup un excellent roman, immersif et passionnant.

08/01/2014

Christopher Priest - La Fontaine pétrifiante

Priest.jpgIl est plus que temps que je rattrape mon retard en chroniques de lectures: et c'est peu dire que j'ai beaucoup durant les dernières vacances. Une boulimie salutaire. Si La Fontaine pétrifiante de Christopher Priest (lu ici dans son édition Folio SF) n'est pas la première de ces lectures, elle n'en est pas moins une des plus intéressantes, et des plus décevantes.

Peter Sinclair est un Londonien victime de la crise, crise durant laquelle il perd tout: son emploi, sa petite amie, et même son père, qui décède tout en lui léguant cependant un petit pécule. Se faisant un brin associable, il se fait cependant prêter un cottage, à charge pour lui de le restaurer et de l'entretenir. Mais voilà qu'il se pique d'écriture, et se lance dans la rédaction d'une pseudo-autobiographie prenant place à Jethra, en Faiandland.

Peter Sinclair est un habitant de Faiandland, mais il est surtout l'un des heureux gagnants de la Loterie Collago, dont le prix est un traitement rendant immortel, au prix d'une perte totale de la mémoire. Par chance, il a rédigé auparavant son auto-biographie, un récit qui cependant le fait vivre... à Londres.

Bien que régulièrement publié au sein de collection de SF, La Fontaine pétrifiante n'est pas un roman de SF. Et s'il n'y avait pas le recueil contemporain de L'Archipel du rêve, rien ne permettrait vraiment de le rattacher au genre. Car ce que décrit Priest avec un immense talent semble ici plus un cas de schizophrénie particulièrement sévère. Mais peu importe, car au passage Priest livre justement bien des choses sur la perception - faussée ou non - que l'on peut avoir du monde, sur le rapport de l'écriture au réel (un texte narratif est-il le reflet fidèle de la réalité), et sur la mémoire. Mais curieusement pas la mort, pourtant au centre du propos, sujet qui justifie pourtant le titre français: le traitement de la Loterie Collago obligeant à figer sa mémoire, comme la fontaine pétrifiante immortalise les objets qu'on y plonge tout en les figeant définitivement.

Priest est un stylise remarquable, sa plume est tout en finesse, il joue aussi facilement sur le premier que sur le second degré, bref, ce roman est particulièrement riche. Et pourtant au final il ne m'a pas plu. Car à mes yeux Peter Sinclair est un personnage particulièrement ingrat: un indécis, nombriliste, obnubilé par sa petite personne pourtant de peu d'importance. Autrement dit, je n'ai jamais rien eu à faire des états d'âme de ce personnage. Je suis resté aussi étanche à ses pensées que que je le suis à celle de nombre d'écrivains français pratiquant l'auto-fiction.

Cela-dit, ça ne m'empêchera pas de continuer à lire Priest, assurément. C'est un grand écrivain.

03/01/2014

Paolo Bacigalupi - La Fille automate

 

Bacigalupi.jpgOn a régulièrement comparé La Fille automate de Paolo Bacigalupi (qu'ici j'ai lu dans l'édition J'ai lu) au Fleuve des Dieux d'Ian McDonald. Or il se trouve que j'ai adoré le roman de McDonald, que je tiens pour un chef-d'oeuvre. Inutile de dire que cette Fille automate m'intéressait.

 

L'action se passe en Thaïlande, dans un futur à moyen terme qui a vu se produire le réchauffement climatique, visiblement stoppé in extremis non seulement par les mesures prises par les divers gouvernements, mais aussi tout simplement par l'épuisement du pétrole et du gaz. Mais de nombreuses guerres ont encore lieu pour le charbon, et surtout pour les semences. En effet la biodiversité a été singulièrement mise à mal par les anciennes grandes multinationales telles que AgriGen – on devine Monsanto sous ce nom – qui vendent à prix d'or des semences stériles censées être protégées de ravageurs... eux même génétiquement modifiés.

 

Anderson Lake travaille pour AgriGen, officiellement comme gérant pour une entreprise de piles à ressort, officieusement comme enquêteur à la recherche d'une mystérieuse banque de semences dont le Royaume Thaï conserverait l'exclusivité.

 

Hock Seng est son comptable, un vieux Chinois rescapé de pogroms en Malaisie. Jaidie est capitaine des Chemises Blanches, la milice du ministère de l'environnement, à laquelle nul ne peut s'opposer. Enfin, Emiko est la fille automate. Une créature issue du génie génétique japonais, un humain artificiel, créé pour servir d'esclave au sein d'une société vieillissante, et égarée presque par hasard en Thaïlande, un pays pour lequel elle n'est pas physiquement adaptée.

 

Autant de destins qui vont s'entrecroiser ici, sur fond de querelles armées entre ministères, poussés par la guerre civile par les entreprises d'AgriGen.

 

Il n'y a pas à dire, Paolo Bacigalupi fournit ici un roman bien charpenté, épais mais dont on tourne les pages à un rythme constant, jusqu'à la dernière. Il s'avale tout seul, passionnant, porté par un propos engagé et un art de décrire des personnages attachants. Cette Fille automate a tout de ce qui devrait être le parfait best seller à l'américaine. Brillant, bien fichu, prenant.

 

Oui mais.

 

La comparaison avec Le Fleuve des Dieux n'est pas à son avantage. D'abord sur la forme : là où McDonald a su innover en matière de structure, créant un véritable roman fleuve basé sur de multiples affluents, Bacigalupi reste classique : ses fils narratifs s'entrecroisent, mais ne fusionnent pas. De même, au niveau culturel, on a pu reprocher à McDonald de larder son texte de mots hindi, mais c'était parce qu'ils étaient sans équivalent dans nos langues. Ca n'est pas vraiment le cas chez Bacigalupi. On y wai à tours de bras, quand on pourrait saluer ; on y khrab quand on pourrait se prosterner. Tout cela est parfois un brin artificiel.

 

Autre problème majeur : une partie du fond. Bacigalupi est résolument neuf dans sa dénonciation évidente des pratiques des multinationales de l'agro-alimentaire – même si en soit il ne dénonce pas les OGM. En revanche, pour bien d'autres thèmes, ses sources d'inspiration sont par trop transparentes. Difficile de ne pas voir dans les problématiques tournant autour d'Emiko des choses déjà vues ailleurs. Dans La Tour de verre de Silverberg (avec déjà des humains artificiels ayant une propriété physique apparente permettant de les reconnaître au premier coup d'oeil) ; dans Cyteen de C. J. Cherryh (sur le statut légal de ces êtres) ; dans le film Blade Runner de Ridley Scott (sur le rôle des créateurs : le Gibbons et ses ladyboys de Bacigalupi ressemblent terriblement à J. F. Sebastien et ses poupées) ; dans les dessins animés Ghost in the Shell, de Mamoru Oshii (comment ne pas penser à Motoko Kusanagi, quant Emiko, comme par hasard japonaise, saute d'un balcon, ou tuent tout un groupe armé jusqu'aux dents à mains nues?)

 

Tout ceci à mes yeux fait que si La Fille automate est un très bon roman, très recommandable, ça n'est pas un grand roman.

 

 

 

Paolo Bacigalupi, La Fille automate, trad. Sara Doke, 2013, J'ai Lu.