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26/03/2016

Thomas Day - Dragon

belial139-2016.jpgLe Belial a lancé une toute nouvelle collection qui ne peut que me remplir d'aise: "Une heure lumière", avec pour principe publier des textes ni courts, ni longs, des novellas, pour reprendre un terme venu d'anglo-saxonie, bref, le plus souvent ce qu'on appelait encore roman il n'y a pas plus de trente ans, avant que les auteurs ne se mettent à délayer à outrance. Mais là, donc, 150 p., supposées lues en une heure. En vérité, il m'a fallu un petit peu plus que ça, mais peu importe. 

Ça fait longtemps que je suis la carrière d'écrivain de Thomas Day, un formidable auteur de nouvelles. Ses Sept secondes pour devenir un aigle, par exemple, est probablement l'un des meilleurs recueils de SF francophone publié depuis longtemps. Il va sans dire que pour ces deux raisons, la brièveté volontaire et l'auteur, je me suis précipité sur ce Dragon...

... lequel est du Thomas Day dans toute sa splendeur. D'abord par ce retour en Asie, un continent que l'auteur aime explorer. Ensuite parce qu'une fois encore, il nous plonge dans une noirceur impressionnante. L'action se passe à Bangkok, dans un futur indéterminé, mais qui importe peu tant les arguments science-fictionnels sont quasi-inexistants. Un tueur en série s'attaque aux pédophiles, venus en touriste, et aux proxénètes des bordels pour enfants semi-clandestins. Un flic, qui passe son temps à errer dans le quartier gay à la recherche de la parfaite ladyboy, une créature illusoire ni homme ni femme mais les deux, est chargé de l'enquête. Une enquête qui doit se faire en toute discrétion, le tueur étant d'ailleurs supposé disparaître sans passer par la case procès. Du foutre, du sang, du Day. Un Day d'un efficacité redoutable: on tourne les pages sans s'arrêter, en se passionnant pour un récit découpé en chapitre plus ou moins longs (certains ne dépassent pas trois lignes). 

C'est donc a priori une réussite. Le hic est que j'ai eu la furieuse impression de relire La Cité des crânes, du même auteur, déjà au Belial. Bien sûr l'histoire n'est pas la même. Mais le cheminement du héros, du milieu de la prostitution à un lieu mystique en pleine jungle presque similaire, à ceci près qu'il n'y avait pas d'enquête dans le précédent roman. Bref, ce n'est pas tout à fait neuf. Mais c'est remarquablement fait.

Leigh Brackett - Les Hommes stellaires

MasqSF008.jpgJ'adore Leigh Brackett. Je l'ai déjà dit ici et ici, par exemple. Mais il y avait un court roman que je n'avais pas encore lu d'elle, Les Hommes stellaires, datant de 1952. La chose a été traduite deux fois en français, et mon choix s'est porté sur la version parue au Masque en 1974.

Michael Trehearne est a priori un humain comme les autres. Mais lorsqu'il fait la rencontre d'extraterrestres venus discrètement sur Terre, il se rend compte qu'il est l'un d'eux. Ou plutôt le descendant de l'un d'eux. Dans quelles circonstances ses ancêtres ou parents sont arrivés là, on ne le saura pas vraiment puisque hop: Trehearne est embarqué par ces ET, et il ne reverra plus jamais la Terre. Il se trouve que les ET en question sont des Vardda, le seul peuple de la galaxie a avoir pu bénéficier d'une mutation artificiel permettant de voyager d'une étoile à l'autre, une mutation créée par un savant déclaré par la suite hors la loi et disparu depuis un millénaire. Les Vardda servent depuis de commerçants interstellaires, seul lien qu'ils sont entre les mondes. Mais leur richesse ainsi acquise choque les derniers humanistes subsistants, qui rêvent de retrouver le secret du savant et de le dévoiler à la galaxie entière. C'est d'autant plus nécessaire que les autres peuples envient jusqu'à haïr les Vardda.

J'attendais sur space opera pulp, j'ai eu le droit à un pensum poussif sur l'amitié entre les peuples. En soi, ce n'est pas inintéressant, mais ce petit roman peine à convaincre, partant du principe que le vol interstellaire, c'est comme le vol ultrasonique: il faudrait un physique particulier pour aller plus vite que la lumière. Déjà, ça ne tient pas debout. Mais au delà de ce problème scientifique même pas crédible lors de la publication originelle du roman, la construction elle-même est maladroite, avec un fort long voyage commercial supposé nous faire découvrir les autres peuples de la galaxie, mais qui peine à être autre chose qu'un long délayage. 

Vite lu, vite remis au fond d'un carton.

Christine Luce (dir.) - Bestiaire humain

bibliogs01-2015.jpgIl est toujours difficile de faire la critique d'une anthologie, du fait de la nature forcément diverse des textes. Bestiaire humain, dirigée par Christine Luce aux éditions Bibliogs, n'échappe pas à la règle: pire, elle se jette tout droit dedans puisque son thème central est la chimère. Les chimères. On trouvera donc de tout, à son sommaire: des poésies, un port-folio, des nouvelles, des illustrations. Le tout savamment mélangé comme il se doit.

D'emblée, je ferai l'impasse sur les poésies. Ça n'est pas une question d'appréciation, mais je ne suis simplement par armé intellectuellement pour juger ces textes. Reste les nouvelles.

L'anthologie s'ouvre sur deux textes qui sont presque frères, et que pourtant tout oppose, notamment par la nature de leurs auteurs. Dominique Douay est un auteur majeur de la science-fiction française, Nelly Chadour est une débutante prometteuse. Mais l'un comme l'autre ont choisi de faire de leurs textes des hommages déviants à des auteurs classiques: Herman Melville pour l'un (Avec Herman Melville dans la vallée des Taïpi), et Robert E. Howard pour l'autre (D'encre et de regrets). Le texte de Dominique Douay est remarquable par l'aisance avec lequel il se glisse dans les oripeaux du fantastique du XIXe siècle, avec sa construction par emboitements (j'ai vu Machin, qui m'a raconté l'histoire de Truc, à qui Chose avait raconté ses aventures). Construction classique donc, mais jamais aisée à manipuler: Dominique Douay y parvient à la perfection. Nelly Chadour, elle, donne paradoxalement à son texte un ton plus proche de celui de William Hope Hodgson et des auteurs fantastiques européens du début du XXe siècle, que de celui de Howard, qu'elle ne nomme jamais directement d'ailleurs. Mais cela contribue à donner une sensibilité surprenant à cette histoire d'écriture inachevée.

La nouvelle de Leo Dhayer est un tantinet plus décevante, si l'on peut dire. Son "auteur" à elle est Karin Boye, dont Leo Dhayer a tout récemment traduit l'excellent Kallocaïne aux Moutons électrique. Mais si le style de K, puisque c'est le titre de ce texte, est brillant, il y a malheureusement une rupture de narration, à mi-parcours, qui est déstabilisante. Peut-être cette nouvelle aurait-elle méritée d'être plus longue? 

Rupture de narration aussi avec le diptyque de Robert Darvel et Irène Maubreuil, Hors des eaux, mais une rupture voulue, puisque chacun des co-auteurs a écrit l'un des deux chapitres de cette nouvelle. Une nouvelle que je ne chercherai pas à comprendre. Il y est question d'étranges bestioles qui tâchent de s'extirper de leur milieu de création, un peu comme des myxomycètes sortiraient de leur bac de culture, et qui s'en vont à la découverte des environs, lesquels ressemblent singulièrement à une ville, mais une ville de rêve (ou de cauchemar?). Chercher à comprendre ne sert à rien, de toute façon: nous sommes bien dans un rêve, avec toutes les possibilités d'émerveillement, d'étonnement, de stupeur et de frayeur que cela implique. Hors des eaux est un texte fort, très fort.

Émilie Fitz nous offre avec Chimène un port-folio narratif, sur une chimère échappée d'un laboratoire. Étant donné que je suis strictement incapable de décrire une oeuvre graphique, je dirai juste que c'est très beau. Avec Cyclade, Christine Luce nous entraîne à la rencontre de deux personnages qu'on sent hors normes, échoués dans un rade genre PMU-brasserie. Une ambiance glauque, lourde, tout en sous-entendus. Peut-être la fin arrive-t-elle un peu trop vite? Peu importe. Christine Luce est un auteur rare qui devrait sans doute écrire plus souvent.

Le texte de Dominique Warfa, Un Testament chimérique. Stack overflow, est plus classique. Écrit sous la forme d'un log de chat entre un humain et l'esprit d'un autre aspiré par le réseau, il montre en quelques pages ce que cela serait, justement, d'avoir un esprit désincarné sur le net, capable de tout contrôler, de tout savoir.

Là encore je n'ai strictement rien compris à la nouvelle de Jacques Barbéri, Kantopéra. Mais sans doute n'était-ce pas le but du jeu. Il faut se laisser bercer par le style de l'auteur, se rattraper aux quelques bouts qui font forcément sens. Limite n'est pas mort et c'est tant mieux. Les illustrations de Jeam Tag sont par ailleurs fabuleuses.

Avec Huis clos pour huit clones, Bruno Pochesci... fait du Bruno Pochesci. Auteur régulier qui ne parvient jamais à se prendre tout à fait au sérieux tout en accumulant les bonnes idées, il reprend ici le postulat du Monde du Fleuve de Philip José Farmer, à ceci près que si l'on retrouve bien ici des personnalités célèbres qui se réveillent nues dans un environnement totalement inconnu, il s'y ajoute ici un mélange des esprits: Hitler semble hanter le cerveau de Gandhi, par exemple. A moins que ce ne soient les circonstances exceptionnelles qui révèlent de façon inattendue un aspect méconnu de ces personnalités. Étonnant et efficace.

Prophéties inverses trois, sept et vingt-deux, de Nicolas Le Breton, n'est hélas pas à la hauteur du reste du volume: texte trop court, qui hésite entre la blague potache et l'idée développée avec sérieux, et qui présente des événements tout à fait improbable sans vraiment jouer sur cette improbabilité. 

Mais au final, Bestiaire humain est une anthologie tout à fait ambitieuse, qui justement ne joue pas sur l'uniformité thématique des textes, mais bien sur la plus grande diversité possible de thèmes, de styles et de formes, le tout visant à composer une chimère viable. Pari osé? Pari tenu!