Paolo Bacigalupi - La Fille automate
03/01/2014
On a régulièrement comparé La Fille automate de Paolo Bacigalupi (qu'ici j'ai lu dans l'édition J'ai lu) au Fleuve des Dieux d'Ian McDonald. Or il se trouve que j'ai adoré le roman de McDonald, que je tiens pour un chef-d'oeuvre. Inutile de dire que cette Fille automate m'intéressait.
L'action se passe en Thaïlande, dans un futur à moyen terme qui a vu se produire le réchauffement climatique, visiblement stoppé in extremis non seulement par les mesures prises par les divers gouvernements, mais aussi tout simplement par l'épuisement du pétrole et du gaz. Mais de nombreuses guerres ont encore lieu pour le charbon, et surtout pour les semences. En effet la biodiversité a été singulièrement mise à mal par les anciennes grandes multinationales telles que AgriGen – on devine Monsanto sous ce nom – qui vendent à prix d'or des semences stériles censées être protégées de ravageurs... eux même génétiquement modifiés.
Anderson Lake travaille pour AgriGen, officiellement comme gérant pour une entreprise de piles à ressort, officieusement comme enquêteur à la recherche d'une mystérieuse banque de semences dont le Royaume Thaï conserverait l'exclusivité.
Hock Seng est son comptable, un vieux Chinois rescapé de pogroms en Malaisie. Jaidie est capitaine des Chemises Blanches, la milice du ministère de l'environnement, à laquelle nul ne peut s'opposer. Enfin, Emiko est la fille automate. Une créature issue du génie génétique japonais, un humain artificiel, créé pour servir d'esclave au sein d'une société vieillissante, et égarée presque par hasard en Thaïlande, un pays pour lequel elle n'est pas physiquement adaptée.
Autant de destins qui vont s'entrecroiser ici, sur fond de querelles armées entre ministères, poussés par la guerre civile par les entreprises d'AgriGen.
Il n'y a pas à dire, Paolo Bacigalupi fournit ici un roman bien charpenté, épais mais dont on tourne les pages à un rythme constant, jusqu'à la dernière. Il s'avale tout seul, passionnant, porté par un propos engagé et un art de décrire des personnages attachants. Cette Fille automate a tout de ce qui devrait être le parfait best seller à l'américaine. Brillant, bien fichu, prenant.
Oui mais.
La comparaison avec Le Fleuve des Dieux n'est pas à son avantage. D'abord sur la forme : là où McDonald a su innover en matière de structure, créant un véritable roman fleuve basé sur de multiples affluents, Bacigalupi reste classique : ses fils narratifs s'entrecroisent, mais ne fusionnent pas. De même, au niveau culturel, on a pu reprocher à McDonald de larder son texte de mots hindi, mais c'était parce qu'ils étaient sans équivalent dans nos langues. Ca n'est pas vraiment le cas chez Bacigalupi. On y wai à tours de bras, quand on pourrait saluer ; on y khrab quand on pourrait se prosterner. Tout cela est parfois un brin artificiel.
Autre problème majeur : une partie du fond. Bacigalupi est résolument neuf dans sa dénonciation évidente des pratiques des multinationales de l'agro-alimentaire – même si en soit il ne dénonce pas les OGM. En revanche, pour bien d'autres thèmes, ses sources d'inspiration sont par trop transparentes. Difficile de ne pas voir dans les problématiques tournant autour d'Emiko des choses déjà vues ailleurs. Dans La Tour de verre de Silverberg (avec déjà des humains artificiels ayant une propriété physique apparente permettant de les reconnaître au premier coup d'oeil) ; dans Cyteen de C. J. Cherryh (sur le statut légal de ces êtres) ; dans le film Blade Runner de Ridley Scott (sur le rôle des créateurs : le Gibbons et ses ladyboys de Bacigalupi ressemblent terriblement à J. F. Sebastien et ses poupées) ; dans les dessins animés Ghost in the Shell, de Mamoru Oshii (comment ne pas penser à Motoko Kusanagi, quant Emiko, comme par hasard japonaise, saute d'un balcon, ou tuent tout un groupe armé jusqu'aux dents à mains nues?)
Tout ceci à mes yeux fait que si La Fille automate est un très bon roman, très recommandable, ça n'est pas un grand roman.
Paolo Bacigalupi, La Fille automate, trad. Sara Doke, 2013, J'ai Lu.
1 commentaire
Ce qui concerne la fille automate ne constitue pas la réussite du roman, et ça me peine de l'admettre. Par contre, la société dépeinte avec ses industriels des calories, la rudesse du gouvernement en place ou des peuples présents (notamment les chinois et leur volonté de survivre), tout ça a très bien fonctionné pour moi et créé des situations fortes portés par des personnages ambivalents et originaux. J'aime la présence de termes hindi: c'est absolument artificiel, un procédé mis en oeuvre dans un but littéraire, et ça fonctionne pour ma part. Je n'ai pas lu Le fleuve des dieux que j'ai pourtant acheté en grand format à sa sortie: un peu peur de m'y frotter et d'avoir trop de reports dans un glossaire.
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