Thomas Day - Sept secondes pour devenir un aigle; et Du Seul sous les paupières
09/11/2013
Deux livres de Thomas Day d'un coup. Voilà. Comme ça. Sept secondes pour devenir un aigle (publié au Belial'), me faisait de toute façon diablement envie, ne serait parce qu'on nous y promettait au sommaire une version révisée et augmentée de Lumière noire, l'excellent texte qui avait été publié dans Retour sur l'horizon.
Ici donc six textes, certains inédits, d'autres pas. Et une préface d'Olivier Girard, une postface de Yannick Rumpala et une bibliographie d'Alain Sprauel. Si j'ai volontiers consulté cette dernière, j'ai fait l'impasse sur les deux premiers.
Le recueil commence par Mariposa, un récit localisé dans le Pacifique, et qui oscille entre épisodes de la Seconde Guerre mondiale, et d'autres plus tardifs. Une île perdue, une minuscule troupe d'occupation japonaise, quelques soldats américains chargés de les déloger de là. Et des arbustes. Des arbres à papillons. On sent ici que le travail de Thomas Day, sous son avatar Gilles Dumay, sur Le Vaisseau ardent de Jean-Claude Marguerite l'a frappé et inspiré. On y retrouve cette volonté d'exotisme (mais pas pour touristes), couplé à un parfum de mystère centenaire. Du beau style, variable selon les narrateurs, une construction parfaite. Une chouette nouvelle.
Avec Sept secondes pour devenir un aigle, l'auteur nous entraîne dans une Amérique profonde où un jeune indien reprend contact avec son géniteur (plus que père), lequel l'engage sur la voie d'une rébellion folle et violente contre notre civilisation moderne. Un texte coup de poing, puissant. Du bon Thomas Day.
Ethologie du tigre nous emmène au Cambodge, à la suite d'un expert en tigres, qui doit enquêter sur la découverte des restes de trois bébés tigres sur un chantier. Si le propos est intelligent, et servi par un personnage fort, le nouvelle, plombée par une scène de cul un brin gratuite, tombe un peu à plat par son final. Une (relative) déception.
Shikata ga nai enchaîne sur le Japon, avec une histoire de stalkers dans la zone de Fukushima. Un texte qui aurait pu être intéressant s'il avait été un brin plus développé. Ici, je n'ai pas eu le temps de m'attacher aux personnages, ni même au cadre de l'histoire, alors que cela fourmille de bonnes idées. Déception encore.
Mais avec Tjurkupa et son Australie du rêve (synthétique), Thomas Day revient en force. C'est cru, trash, mais pas gratuitement violent. On suit avec fascination et étonnement le cheminement de cette jeune aborigène un brin simplette et que tout le monde dit moche comme un pou, parcours aidé par de nouvelles technologie qui permettent de donner corps au temps du rêve.
Et enfin, Lumière noire. Augmenté, certes, mais surtout réactualisé. Ce que j'appellerais le texte de science-fiction parfait. Court (même s'il s'agit presque d'un roman) mais dense, avec des personnages forts, une construction qui sert parfaitement l'action tout permettant d'aborder bien des réflexions. Bien sûr son propos n'est pas neuf - l'accès à la conscience d'un super-ordinateur (cf ma critique du Bulmer ici-même) - mais il est porté par un style, notamment dans les descriptions, qui nous plonge dans dans ce qui n'est pas réellement un cauchemar. Ni cyberpunk, ni post-apocalyptique, ni dystopique (ou utopique, le texte est ambigu), Lumière noire est un peu tout cela. Un grand texte.
Mais patatras, j'ai aussitôt enchaîné avec Du Sel sous les paupières, un roman que Thomas Day avait en chantier depuis des années et qu'il destinait à son fils.
Peu après la Première Guerre mondiale, que la France a gagné mais qui l'a laissée couverte d'une étrange "brume de guerre", Judicaël est un adolescent malouin, pauvre comme job, vendeur d'illustrés et de photos pornos dans la rue, et parfois un brin voleur. Voilà cependant qu'il détrousse la mauvaise personne - le fils d'un notaire -, que son grand-père meurt, et qu'il rencontre une jeune fille qui aussitôt disparaît. Judicaël, d'abord en fuite, finit par rencontre une véritable légende urbaine, le Rémouleur, pseudo-tueur d'enfants, qui est avant tout un androïde allemand venu saboter une usine secrète française, mais tombé en rade après la mort malencontreuse de son créateur.
Voilà un roman raté. Pas mauvais, mais raté. Toute la première partie nous plonge dans une ambiance uchronique plutôt réussie, où l'on découvre que la France et l'Allemagne se livrent à une course à l'atome, histoire de bien préparer la future guerre, tandis que la deuxième partie nous emmène... en pleine fantasy, avec lutins et dieux. Bien entendu, ces deux parties sont liées. Mais le contraste est si fort entre elles qu'on ne peut s'empêcher de décrocher. La deuxième partie n'est en effet pas le moins du monde annoncée dans la première, et tout élément de la première (y compris Hans l'androïde) est abandonné dans la deuxième. Le résultat est pour le moins boiteux... Tant pis. Dans cette veine uchronique, on préfèrera du même auteur l'excellent Automate de Nuremberg.
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