Boris Lavrenev - Le Quarante-et-unième
25/12/2020
Revenons aux Éditions en Langues étrangères soviétiques, avec Le Quarante-et-unième, un recueil édité vers 1960 de trois nouvelles de Boris Lavrenev, un auteur dont je n'avais jusqu'ici jamais entendu parler. Il faut dire qu'il est essentiellement connu comme dramaturge, et n'a écrit qu'une poignée de nouvelles. J'ai acheté ce livre un peu par hasard, et j'avoue que la consultation de la fiche Wikipedia de l'auteur m'a sur le coup un brin refroidi, tant celui-ci semble avoir été un bolchévik pur et dur, traversant toute la période stalinienne visiblement sans grand soucis. Mais c'est à tort que j'ai eu ce réflexe, car, tout comme son contemporain Alexeï Tolstoï, Lavrenev s'avère, à la lecture de ces trois nouvelles, un auteur tout à fait remarquable.
Les deux premiers textes prennent place durant la Guerre civile. La première, "Le Quarante-et-unième", a pour cadre un endroit que Lavrenev connaît bien pour y avoir combattu lui-même: l'Asie centrale, et notamment le Turkménistan. Un groupe d'une vingtaine de combattant rouge, ultime survivants d'une compagnie décimée par les cosaques, s'enfonce dans le désert du Karakoum, avec pour objectif d'atteindre la mer d'Aral. En route, ils croisent une patrouilles de Blancs et en capturent l'officier. Celui-ci, un jeune homme, aurait dû être la quarante-et-unième victime de Marioutka, une femme qui combat avec les Rouges et qui est une redoutable tireuse d'élite. Mais pour une fois, elle manque sa cible. Plus tard, Marioutka et le jeune officier se retrouvent isolé sur une île de l'Aral, ce qui va amener à un choc de deux mondes.
C'est aussi la confrontation de deux mondes que décrit Lavrenev dans "Le Septième satellite", qui nous montre la vie d'un ancien général durant la Guerre Civile. Bien que haut gradé (on lui donne du "Son Excellence"), il fait le choix de rester à Pétrograd, et de ne pas émigrer. Pourtant la vie lui est tout sauf simple. Il est arrêté, comme nombre de nobles et de gros bourgeois. Finalement libéré, mais sans logement, il fait le choix de devenir lessiveur pour la prison où il était auparavant enfermé, avant de rejoindre de lui-même l'Armée rouge. Le général, en effet, a compris que l'ordre des choses est en train de changer, qu'un nouvel État est en train de naître, et que si l'on peut ne pas être en accord avec ses idées, il ne sert à rien de s'opposer au cours inéluctable des événements.
La troisième nouvelle, "Une Cargaison pressée", sort du cadre de la Guerre Civile, pour nous emmener à Odessa deux ans après la Révolution de 1905. Une Odessa encore meurtrie, où se pressent cependant des navires battant de nombreux pavillons, et où finalement toutes les affaires sont bonnes à prendre, quel qu'en soit le prix.
Lavrenev s'avère avec ces nouvelles un auteur tout à fait fascinant. Bien que bolchevik, il est suffisamment subtil pour dresser un portrait réaliste de ceux-ci: il montre ses anciens compagnons d'arme comme des personnes assez mal dégrossies, voire tout à fait vulgaires. Marioutka tente bien de faire des vers, mais ils sont si mauvais qu'à son grand désespoir, ils sont publiés nulle part. Mais est-ce leur faute. Assurément non. Lavrénev ne cache pas la brutalité des Rouges, mais il montre que la cause première de ce caractère rustre est l'absence d'éducation, de considération, dont le peuple a été victime sous le capitalisme tsariste. De la même manière, il ne rejette pas tous les Blancs, en tout cas il ne les dépeint pas comme un bloc uniforme. L'officier du "Quarante-et-unième" est d'un caractère agréable, gentil même, mais si ancré dans sa condition aristocratique qu'il ne peut en admettre d'autre. Le général Adamov, lui, fait le choix de tourner le dos à sa classe, dont il reconnaît les défauts, en fustigeant ses généraux d'opérette qui ne supportent pas de ne pas pouvoir dormir dans un lit.
Ce qu'il y a de remarquable aussi dans ces textes, et qu'on y passe aisément de moments très drôles, avec des portraits hauts en couleurs des protagonistes, à de pures situations tragiques. De la belle littérature.
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