Jean Hegland – Dans la Forêt
04/08/2019
Elles sont deux soeurs, Eva et Nell, encore adolescentes et vivant dans une forêt de Californie, avec leurs parents. Lui est professeur dans une école, elle est une ancienne ballerine qui pratique maintenant l'art de la tapisserie. Mais le système économique américain s'effondre petit à petit. Régulièrement l'électricité est coupée, avant de disparaître complètement. Puis vient le tour du téléphone. Et quand finalement il n'y a plus d'essence, la petite famille se retrouve coincée à cinquante kilomètres de la ville la plus proche.
Puis la mère meurt d'un cancer. Vient ensuite le tour du père, victime d'un accident de tronçonneuse. Et voilà les deux jeunes femmes isolées dans une maison en bois devenue trop grande pour elles. Deux soeurs qui durant les premiers mois vont vivre sur les réserves constituées par leur père, ne faisant qu'espérer le retour de l'électricité. Un retour qui ne viendra jamais.
Joliment écrit, Dans la Forêt de Jean Hegland est un roman apocalyptique atypique. Il est peut-être aussi l'un des plus réalistes que je connaisse. Foin ici de zombies, de radiations, de gangs ultraviolents en moto. Ici, on est dans l'intime, la forêt constituant une barrière quasi-impénétrable grâce à laquelle Eva et Nell finissent par ne plus recevoir le moindre écho du monde.
Le portrait dressé de ces adolescentes est lui aussi réaliste. On ne trouvera pas ici de ces sempiternels adolescents rebelles qui sauvent le monde. Non. Eva et Nell sont des modèles de ces adolescentes typiques qui ne vivent que pour elles-mêmes, promettant sans cesse de l'aide à leurs parents sans jamais finalement se bouger. L'une passe son temps à danser, même s'il n'y a plus de musique, et l'autre à rester collée à son encyclopédie, ne désespérant pas d'intégrer un jour Harvard. Rien d'autre n'a d'importance. Et tant pis si le toit fuit, tant pis si le potager devient un bordel sans nom. Plus d'une fois, je me suis pris à me demander: "mais quand donc vont-elles enfin se sortir les mains des poches, ces deux idiotes?" Mais qu'aurais-je fait, moi, dans cette situation? N'aurais-je pas pensé non plus sans cesse "Ils vont remettre le courant", avant de continuer à écrire sottement des articles de mythologie comparée? Bref, ce qui est agaçant au départ, car assez peu romanesque, est en fait une réalité.
Ce qui l'est moins, ce sont certains artifices utilisés par l'auteur pour faire progresser son récit. Tout d'abord l'apparition temporaire d'Eli, le chéri fantasmé de Nell, puis le viol d'Eva par un inconnu. Tout cela tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, et aide l'auteur à bâtir une sorte de rejet des hommes quels qu'ils soient, et à pousser ses personnages à un retour à la terre aussi stupide que vain.
Mais au-delà de ces défauts de structure et de fond, il reste de belles qualités d'écriture, qui font de ce premier roman quelque chose d'intéressant.
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