Daniel Walther (dir.) - Les Soleils noirs d'Arcadie
24/07/2018
Depuis le début des années 70, la SF française est en pleine mue. Des tentatives sont faites par divers auteurs pour acquérir un style plus relevé que l'écriture efficacement narrative en usage d'ordinaire, et surtout, la politique fait son entrée en force, depuis mai 68.
L'anthologie Les Soleils noirs d'Arcadie, dirigée par Daniel Walther et publiée en 1975 dans la collection Nebula des éditions Opta, s'est voulue le reflet de cette mutation, de cette maturation, une sorte de Dangerous Visions à la française.
Qu'en reste-t-il, plus de quarante ans après? Que valent maintenant ces quatorze textes?
De la nouvelle de Bernard Mathon, je ne peux rien dire, simplement parce qu'à la fin de la lecture du volume, je ne m'en souviens déjà plus... En revanche, Vaches grasses, vaches maigres, de Dominique Douay, a gardé toute sa force: que se passerait-il si l'État de droit commençait à se déliter, libérant la violence, forçant les gens à se retrancher dans leur maison? Vaches grasses... est un texte apocalyptique implacable. Les Imputrescibles de Patrice Duvic se laisse toujours lire mais n'emporte pas l'adhésion. L'idée, tournant autour de la notion d'ordure (dans tous les sens du thème), aurait mérité un texte plus développé. Salut Wolinski! de Jean-Pierre Andrevon relève du trash le plus gratuit. Dans le futur qu'il imagine, tout semble permis. Ainsi un homme a pour métier d'être terroriste à plein temps. Il passe ses journées à errer d'un quartier à l'autre et à tuer au hasard, par tous les moyens possibles, sans jamais être arrêté par qui que ce soit puisqu' "il a le droit". Malheureusement, une fin un peu bâclée vient gâcher un peu ce texte. ACME ou l'anti-Crusoé de Gérard Klein nous révèle ce qui peut passer par la tête d'un cosmonaute envoyé vers une autre étoile, et qui revient enfin aux approches de la Terre alors que l'humanité a disparu. Non seulement ce texte est formellement une réussite, même s'il fait le pari d'une déconstruction similaire à celle de l'esprit du cosmonaute, mais il est aussi dans le propos. Un bijou.
Dernière autoroute pour le Seigneur, de Jean Le Clerc de la Herverie est absolument sans intérêt. Un dieu bienveillant (Gwenn) et un autre maléfique (Du), s'affronte sur font d'embouteillage géant. Je n'ai gardé aucun souvenir de Vibrax, de Yves Olivier-Martin. Là encore, c'est mauvais signe. Michel Jeury, avec Les Transpondus, fait à nouveau joujou avec le temps, comme à son habitude. Mais est-ce vraiment le temps, d'ailleurs, ou une illusion fournie par un nouvel appareil de contrôle des esprits?
Ne lisez pas! de Pierre Suragne (alias Pierre Pelot), est astucieux en diable... Patientant dans un cabinet médical, un homme prend un livre, entame la lecture d'une nouvelle... et y découvre raconté tout ce qu'il vient de vivre, et la suite. Mais là encore, tout ceci est-il bien réel? Des Humains... ou des poissons d'une espèce hybride, de Gilbert Michel est un beau texte très poétique, dans lequel il ne faut pas chercher à tout comprendre et accepter de se laisser porter par les mots. Il en est de même pour Observations en vallée fermée, d'Henry-Luc Planchat, assurément un des meilleurs textes (mais aussi un des plus courts) du recueil. En revanche si je n'ai rien compris à Super-jam pour Noël rouge, de Joël Houssin, cette absence de compréhension n'a pas été compensé par le style. Ce texte m'est resté totalement hermétique. V.V. de Jean-Pierre Hubert est un joli manifeste soixante-huitard. Sur une planète lointaine, colonisée par l'homme, mais ne possédant qu'une seule cité, tout est aseptisé, entretenu jusqu'à la maniaquerie. Quelques rares personnes entre dans la clandestinité en devenant graffeurs, taguant autant en des lieux sensibles, n'hésitant pas à tuer pour échapper aux gardiens de l'ordre. Enfin, Passion sous les tropiques de Philippe Curval est un brin à part: il s'agit en effet d'une sorte d'uchronie, un genre encore fort rare alors, dans laquelle les Mayas ont atteint un stade industriel de civilisation, mais sont toujours sous l'emprise des prêtres. Pire: leur sexualité est totalement contrôlée, seules deux périodes de rut par an étant admise, le mot amour étant même absolument proscrit. Une excellente nouvelle pour clore ce recueil.
Que dire au final? Oui, c'est inégal. On trouve ici de l'excellent, du bon, et du mauvais. Mais il faut noter cette volonté des auteurs à vouloir briser les cadres d'alors, qu'ils soient narratifs ou de l'ordre des idées. Il faut déstabiliser, choquer, heurter le lecteur, et à ce titre, Les Soleils noir d'Arcadie valent le détour.
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