C'est la crise!
27/11/2011
Les temps sont durs... Je vous le dis franchement, mes braves dames, mes bons messieurs: les temps ne sont plus ce qu'ils étaient.
Lorsque j'étais étudiant, je mangeais des knacks et des nouilles tous les soirs, et en même temps, j'achetais des livres au kilo. Je n'exagère pas. Entre 10 et 20 livres par semaine. Un peu de neuf, beaucoup d'occasion. En ce temps-là (pas si lointain: 1992-1998), Emmaüs à Caen faisait les livres à 1F ou 2 (j'ai pu y acheter une collection de plus de dix années de Fiction à 150FF), Memoranda (un célèbre bouquiniste de la ville), faisait les Fleuve Noir Anticipation à 8FF et les autres poches à 10FF (parfois bien moins). C'est comme ça que j'ai bâti toute ma culture SF, en achetant en masse des tas de livres, de revues, mélangeant allégrement toutes les décennies de parution, sautant sans problème d'un Van Vogt des années 40 à un Williams des années 80. Pas de problème: pour moi, c'était de la merveille en barre. Alors j'étais sans doute maigre comme un clou, mais j'espère que j'avais la tête bien pleine.
Mais trouvez-les, de nos jours, les occasions à 2€. EH bien non, on a converti les francs en euros. Le livre coûtait 10FF? Il coûtera donc 10€.
Et le neuf, dans tout ça? Le neuf n'est pas cher. Non. Par rapport au prix que l'ouvrage en question coûte à l'éditeur, il n'est pas cher. Et pourtant tout le monde se plaint de son prix. En SF et en fantasy, rares sont les livres à moins de 20€, et la norme est sans doute plus autour des 25€. C'est cher, pour le lecteur, c'est cher. La faute à qui?
En revenant à ma bibliothèque ancienne, soigneusement conservée chez mon père qui désespère pourtant de me voir vider la pièce en question une bonne fois pour toute, je n'ai pu que constater une chose: dans les années 50, 60, 70, un roman de plus de 200 pages était un gros roman. La norme oscillait grosso modo autour de 150/170 pages. Regardez le volume moyen d'un PDF, d'un FNA, d'un Masque-SF, d'un Galaxie-bis, d'un Presse Pocket et vous comprendrez. Les choses exceptionnellement volumeuses sortaient en CLA ou en Ailleurs et Demain, et elles n'étaient certainement pas la norme.
Et puis à partir des années 80, suite à une mode venant des USA, les livres ont commencé à enfler, à se boursoufler. Ca a sans doute pris du temps, et je serais incapable de donner des chiffres et des stats. Mais maintenant un roman des années 60/70 s'appelle "novella", et les romans eux-mêmes font au minimum 400 pages.
Et pourquoi donc? Je ne sais pas. J'ai tendance à penser qu'au départ, l'éditeur en tirait un certain profit. Mais aussi que ces boursouflures flâttent les mauvais penchants des lecteurs hard core, de ceux qui veulent s'assurer que dans l'univers de l'auteur, les fourmis ont bien six pattes et les mouches un anus bien rond, de ceux qui veulent des intrigues parallèles, même si elles sont rarement utiles au propos, des personnages secondaires, pourtant souvent superflus, etc. Le pire est que ces gros livres représentent pour l'éditeur français un investissement considérable, en impression et surtout en traduction, mais comme le lecteur hard core, soi-disant, en veut, eh bien l'éditeur tire la langue, mais le fait quand même, et tant pis si l'auteur, cette vedette américaine, demande au passage un à-valoir pharaonique.
Sauf que les lecteurs hard core sont de moins en moins nombreux. Tous les éditeurs le disent: les ventes de SF, et maintenant même de fantasy, sont calamiteuses, ou au mieux médiocre. A la fin des années 70, J'ai lu a stoppé la parution mensuelle de la revue Univers pour cause de lectorat trop faible (13000 si je me souviens bien); de nos jours, les revues pro font les fières avec 700 abonnements.
Et on en comptera un lecteur de moins à partir de ce jour. Eh oui: les impôts et le rachat d'un ordinateur sont passés par là. Il n'y a plus de sous dans la caisse. Mes achats de neuf étaient déjà rares; et jusqu'à nouvel ordre, ils seront tout simplement nuls.
Paradoxalement, cette situation m'a invité (si l'on peut dire), à aller chercher tout ce que je n'avais pas encore lu dans ma réserve. Et je redécouvre avec joie ces romans courts, secs, nerveux, et surtout qui ne donnent pas l'occasion d'avoir des regrets: si l'un d'eux est mauvais, je n'y aurai perdu que quelques heures et quelques sous. Pas quelques jours et une trentaine d'euros.
Au programme donc de mes lectures à venir, une petite réserve de choses récentes (quand même), mais surtout, des FNA, des Pockets, des Galaxies-bis, des Masque. Et une palanquée de Jean et Doris Le May, donc je compte bien me faire petit à petit l'intégrale.
9 commentaires
Il faudrait mettre un bouton "+1" car je plussoie.
Et c'est ce qui fait que des auteurs comme moi finissent par arrêter d'en écrire.
LG
Ce qui est bien malheureux, car qu'est-ce que j'ai pu en lire du Genefort au Fleuve! Arago et autres petits bouts d'univers!
arf si je suis d'accord que c'est devenu un produit de luxe, je ne te rejoint pas sur la cause. Je suis pour l'instant pas très fan du format novella, cela me semble manquer de consistance, de matière, et me laisse sur ma faim. Oui, une nouvelle peut être très roborative (même si je regrette souvent de ne pas en savoir plus sur ceci ou cela, sans parler des chutes souvent incompréhensibles, les nouvelles jouant énormément sur le sous-entendus). Oui, les sagas de fantasy à rallonge sont désespérants de longueurs (ce pourquoi je lis presque jamais de fantasy). Mais y'a un juste milieu. Dans ma jeune expérience (c'est à peine si j'ai acheté des livres en francs) les livres ne me semblent pas globalement trop long, et 200p, c'est court, trop court. Après bien sûr tout dépend de ce qu'il y a dedans, c'est la qualité plus que la quantité le plus important XD
Non, 200 p., ça n'est pas trop court. L'essentiel de la SF moderne s'est bâti sur ce format. C'est là que ça devient rigolo: l'essentiel de la SF des 60 dernières années doit maintenant être rangé dans la catégorie novella, simplement parce que depuis un peu plus de 20 ans (pour les anglo-saxons), les auteurs ne peuvent plus retenir leur plume et gonflent, gonflent, gonflent...
La SF étant aussi pour moi une littérature d'idées, et qu'en général, une idée, il n'y en a qu'une par roman, si elle est diluée sur 500 p., elle n'en aura pas nécessairement plus de force: au contraire, le plus souvent.
Mais pour revenir à ce que je disais: le problème essentiel, est que ni les éditeurs, ni la plupart des lecteurs n'ont maintenant les moyens pour une telle littérature faite de pavés.
Les auteurs capables de nous tenir en haleine 700, 800 voire 900 pages sur une seule idée générale se comptent sur les doigts de la main, le reste est le plus souvent un étouffe-lecteur.
Je crois vraiment qu'il faut y voir notamment l'influence de l'ordinateur sur la composition littéraire. Ceci dit, un mouvement inverse s'est amorcé: les chaînes de librairie US rechignent de plus en plus à stocker de gros pavés qui prennent beaucoup de place dans les rayonnages. C'est pour ça, par exemple, que le dernier Connie Willis est sorti en deux volumes. Le capitalisme échevelé comme sauveur de la qualité littéraire? Il n'y a vraiment qu'en SF qu'on voit ce genre de paradoxe...
Le pire, c'est qu'avec mes trois fonctions, je me retrouve dans une position instable, avec tout ça. En tant que lecteur, je veux des choses courtes. En tant que traducteur, je propose des pavés (si si, c'est vrai, je n'y peux rien: les petits trucs ne passent pas). En tant qu'anthologiste, je cherche des nouvelles...
Le monde est mal fait.
J'ai également cessé, ou presque, de lire de la fantasy à cause de cette propension à multiplier les tomes, volumes, saisons et autres préquelles. Parfois, le propos de l'auteur et l'intérêt de l'histoire, justifient plusieurs volumes. Mais j'ai souvent l'impression qu'il y a des considérations commerciales derrière tout cela.
Quant aux prix, là c'est une autre histoire, et j'imagine qu'il est impossible aux éditeurs de faire moins cher. Néanmoin, plus de 20 euros pour un bouquin, même en grand format, çà commence à faire mal au porte monnaie. Surtout quant on a une consommation de livre importante !
Alors, comme Patrice, je lit surtout de la SF plus ancienne. Outre la concision de ces vieilleries, elles ont l'avantage d'être accessibles à vil prix pour peu qu'on se donne la peine de les dégoter chez les bouquinistes. Et que de trésor à découvrir !
Alors dommage pour les jeunes auteurs et les petits éditeurs, mais j'avoue que je n'achète que fort peu de nouveautés.
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