Robert Charles Wilson - Julian
25/07/2012
Il y a des livres dont il est difficile de parler, non pas parce qu'ils sont mauvais, mais parce qu'ils suscitent au lecteur une foule d'interrogations, de réflexions. Julian, de Robert Charles Wilson, est de ceux-là.
L'action débute en 2172, dans une Amérique qui a régressé au stade civilisationnel du XIXe siècle. Des décennies auparavant, la fin du pétrole a provoqué une grave crise économique, qui, faute d'être gérée convenablement, a plongé le monde dans le chaos. Bien des technologies furent abandonnées car redevenues trop honéreuses. Les plastiques, par exemple, ne sont plus que de lointains souvenirs, de ceux dont on découvre les lambeaux dans les dépotoirs, terme sous lequel on désigne les ruines des anciennes villes abandonnées. L'Amérique est soumise au Dominion, un rassemblement autoritaire d'églises qui régit toute la vie morale et scientifique du pays. Les livres sont soumis à l'imprimatur, les pensées contraires à la Bible sont interdites. Pas question par exemple de parler d'évolution des espèces.
C'est dans ce contexte que vit Julian Comstock. Son père était un général victorieux, assassiné par jalousie par son propre frère, Deklan, président des Etats Unis. Deklan est en effet un tyran - ce qui arrange bien les affaires du Dominion - qui se voit en conquérant et donc entretient depuis de longues années une guerre épuisante contre les Européens installés au Labrador, Européens globalement désigné sous le terme de "Hollandais". Dans l'espoir de se débarrasser de son encombrant neveu, déjà exilé dans un petit village provincial, Deklan organise une conscription. Julian, son ami Adam - un paysan - et son mentor Sam - un vétéran de l'armée de son père, se retrouve enrôlé et doit alors faire ses preuves au combat, un combat absurde, dont le seul objectif est, plus que de vaincre l'ennemi, de conduire le jeune homme à la mort.
Mais Julian s'avère invulnérable, audacieux, héroïque. Mieux, Adam fait publier, au prix de circonstances cocaces, un récit de ces exploits qui rend le jeune homme extrêment populaire. A l'issu d'une nouvelle boucherie sur le front, Deklan est déposé par l'armée, et Julian nommé président par intérim.
"Apostat. Fugitif. Conquérant". Voilà le sous-titre que l'éditeur français a cru bon d'ajouter à la place du titre original. Cela permet évidemment d'orienter le lecteur vers d'autres références que celles de l'histoire américaine. Julian est Julien l'Apostat, et le récit de Wilson pourrait passer sans trop de difficultés pour une adaptation moderne de la vie de l'ancien empereur romain. Certes, bien des détails varient, mais l'essentiel est là, de l'enfermement durant sa jeunesse à l'accession au pouvoir après une série de campagnes militaires victorieuses. De même le Julian philosophe et agnostique répond au Julien, lui aussi philosophe et initiateur d'un édit de tolérance. L'un comme l'autre se mettent à dos le christianisme et lui opposent la philosophie (au point d'être barbus, à la mode des philosophes). L'un comme l'autre sont populaires au sein de l'armée, mais se révèlent de piètres administrateurs.
La démarche de Wilson est ici déjà intéressante en soi. Cependant elle serait un peu vaine s'il n'y avait que cela. Le propos de l'auteur n'est évidemment pas seulement un propos d'historien, mais aussi et surtout un propos politique. Sa charge contre l'obscurantisme religieux est vigoureuse. Le néo-puritanisme prôné par le Dominion et la constitution sociale de cette Amérique du du XXIIe siècle ne sont finalement que des exagérations bâties sur ce que voudraient les mouvements conservateurs actuelles, qui préfèrent l'ignorance dans la foi au savoir athée. Il est assez intéressant de noter que Wilson, qui est Canadien et non Américain, signale comme ilôts de tolérance New York, mais aussi le Québec (toujours francophone)... et la France méditerranéenne qu'il décrit presque comme un paradis sur Terre et ou, "malgré leur rivalité perpétuelle, les musulmans et les chrétiens ne se sont pas entretués depuis des décennies, du moins pas à grande échelle."
Le savoir et la tolérance face à la religion et à la haine. Un message qui tranche face à une certaine production de la SF nord-américaine actuelle (qu'on pense à Dan Simmons, par exemple).
Pour autant, est-ce un message optimiste? On sait comment Julien - le vrai - a fini. On sait comment l'Eglise a fini, un siècle et demi plus tard, par vaincre une bonne fois pour toute les philosophes en fermant l'école d'Athènes...
Notons pour finir que si le roman de Wilson est riche de cet arrière-plan à la fois historique et philosophique, il n'en est pas pour autant illisible. Wilson a fait en effet le choix de la simplicité narrative, en confiant le récit à Adam, ce jeune paysan ami de Julian et qui, du fait qu'il sait lire et écrire, a toujours voulu être écrivain. Ainsi Wilson se coule-t-il dans un style simple, faussement naïf, mais qui sert admirablement son propos. Tout au plus lui reprochera-t-on certaines longueurs (mais quand donc les auteurs anglo-saxons réapprendront-ils à être raisonnables avec la taille des romans!).
Bref, Julian est un roman on ne peut plus recommandable.
4 commentaires
Je plussoie, une belle claque !
Un bien bon bouquin, en effet !
Visiblement, tout le monde n'est pas convaincu : http://yannickrumpala.wordpress.com/2012/07/30/une-critique-en-forme-dappel-a-renouveler-limaginaire-ecologique-de-la-science-fiction/
Ma foi c'est une bien belle critique, et argumentée.
J'avoue pour ma part n'avoir pas lu la 4e de couverture: donc pas moyen d'être déçu par elle. J'avoue aussi m'être totalement focalisé sur les aspects historiques du roman. Un roman riche et qui suscite le débat. Du coup j'ai eu beaucoup de mal à rédiger cette note. J'aurais du noter par exemple la totale absence d'allusion au dérèglement climatique amorcé durant l'âge d'or du pétrole. Wilson aurait-il eu peur du débat?
Sinon, sur ça:
"Comment autant de connaissances accumulées peuvent-elles être oubliées ? Uniquement par la pression des dogmes religieux ? Pourquoi n’y a-t-il plus de traces des déchets à longue durée de vie laissés par notre civilisation industrielle ? Les États-Unis devraient être jonchés de carcasses de voitures, de camions, d’avions, etc. Difficile de supposer que tout ait déjà pu être récupéré et recyclé."
L'intrigue se passe dans plus d'un siècle et demi. De plus, l'auteur parle régulièrement d'usines de relaminages. Donc sur l'absence de carcasses d'engins, cela ne m'étonne pas du tout. Idem pour les connaissances: l'abandon de connaissances peu aller très très vite. Il suffit d'une génération soumise à une crise intense puis à un défaut d'éducation. Voyons l'exemple de l'Afghanistan, en guerre depuis trente ans et plus: quel est le niveau scientifique local?
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