Walter Jon Williams - Aristoï
20/10/2011
Tiens, un roman utopiste américain. En tout cas, c'est ce que Walter Jon Williams a déclaré vouloir faire avec Aristoï (lu ici dans son édition J'ai Lu de 1995) Ca n'est pas si banal que ça venant d'un auteur américain, et donc il me fallait y jeter un oeil.
Dans un lointain futur, alors que la Terre a été détruite par une prolifération de nanos incontrôlée, une société idyllique a été mise en place afin d'éviter ce genre d'accident fâcheux : la Logarchie. Les humains y sont divisés en trois classes : les Demos - la base -, les Therapons – 'encadrement -, les Aristoï - les meilleurs, véritables demi-dieux qui contrôlent tout, chacun dans son domaine. Et l'évolution des gens d'une classe à l'autre se fait au moyen d'examens strictement contrôlés : tout fonctionne au mérite, et donc sur la base d'une justice parfaite. L'humanité, sur ce modèle, est répandu dans un vaste secteur de la galaxie, et l'ensemble est chapeauté par un réseau maintenu en place grâce à des communications instantanées utilisant les tachyons. S'il faut plusieurs mois pour se rendre d'un monde à l'autre, il est donc ainsi toutefois possible de discuter, de façon virtuelle, avec une personne située à des années lumière de là. Le monde réel se retrouve doublé d'un monde virtuel, lequel est constamment enregistré sur le réseau, ce qui permet d'éviter toute fraude, manipulation ou acte de malveillance.
Lorsqu'un therapon est jugé apte à devenir un aristo, on le dote d'un domaine, à savoir que l'on crée et terraforme plusieurs planètes que l'on ouvre alors à la colonisation par des demos volontaires, lesquels deviendront ses sujets.
Ajoutons à cela que tout le monde est connecté au réseau grâce à un implant, et que les therapons et les aristoï développent volontairement en eux une forme de schizophrénie multiple, c'est à dire l'apparition de personnalité secondaire, aptes à les aider dans les diverses tâches qui leur incombent. Ainsi un aristo pourra confier la gestion de son corps à l'un de ces « daimones » (c'est le nom donné à ces personnalités secondaires), tout en passant lui-même son temps à composer intérieurement un opéra. C'est pratique, il faut bien l'avouer, même si ça doit être soûlant finalement d'avoir tout un bureau en open space dans la tête.
Bon. Plein de (vraies) bonnes idées donc. Cela suffit-il à faire un roman ? Non.
Car durant les 200 premières pages, Williams ne fait que mettre en place son cadre. On suit Gabriel, jeune (enfin déjà centenaire, quand même) et brillant aristo. Un esthète. Mais voilà : il compose un opéra, il rencontre quelqu'un (homme ou femme), puis mange avec le quelqu'un en question (on a tout le menu), puis couche avec le quelqu'un en question (homme ou femme, tout le menu aussi - enfin moins quand il s'agit d'hommes bizarrement), puis discute avec le quelqu'un, puis rebelote, dans un ordre différent, et ceci avec tous les détails possibles. Williams a juste omis de préciser le prix des plats consommés. A vrai dire, on s'en fiche, puisqu'on sait que les aristoï ont tous les droits ou presque.
On finit par comprendre que quelqu'un a fait quelque chose de mal : créer des planètes en y implantant une humanité primitive. Et que cet aristo est prêt à tout pour garder cela secret : y compris falsifier les données du réseau, y compris tuer la personne qui a découvert la chose. Et c'est Gabriel qui va devoir enquêter. En se rendant sur l'un des mondes sauvages. On se demande bien pourquoi il ne se contente pas de dévoiler directement la chose aux autres aristoï, mais bon : il fallait bien que ça bouge un peu. Et c'est vrai. Lorsque Gabriel et son équipe de therapons se retrouve sur Terrina, ledit monde sauvage, ça bouge. Mais patatra : on se retrouve alors face à ce qui n'est ni plus ni moins qu'une redite de Il est difficile d'être un dieu, l'un des romans clés des frères Strougatski. Si si. Hommage ? Plagiat ? Peu importe au final : ce qui compte est qu'on y trouve rien de neuf. Gabriel se fait passer pour noble venu d'un lointain pays (Roumata d'Estor se fait passer pour un noble venu d'une lointaine province), sur un monde dont le niveau se place à celui de la fin de la Renaissance et du début de l'Époque moderne, il infiltre la haute société, prend un amant local (tout comme Roumata prend une amante, la différence tient dans le sexe différent de l'autochtone), se retrouve à infiltrer une prison dont on dit que personne n'en sort vivant et où il fait face à un ecclésiastique vicelard qui prend plaisir à la torture. Tout y est. Même le coup des pièces d'or trop pures. Seule différence : si pour Roumata, « il est difficile d'être un dieu », pour Gabriel, « un aristo pouvait tout faire sur cette planète » (p. 255).
Et il ne s'en prive pas. Lui qui se comportait jusqu'ici comme une oie blanche au coeur d'artichaut (il tombe amoureux toutes les cent pages), tue sans état d'âme, y compris même au sein d'une foule, à la vue de tout le monde. Car là où le roman des Strougatski est solide et bien structuré, avec un propos fort, c'est l'ensemble de cette partie d'Aristoï qui ne tient pas debout. Tout va trop vite, trop bien. Ca n'est tout simplement pas crédible.
Autrement dit, à la copie, préférez l'original.
PS : j'aurais du me douter qu'un bouquin avec en couverture David Martinon en costume à fraise façon Henri IV ne pouvait pas être bon.
3 commentaires
Allez hop un petit commentaire à moitié hors sujet. Ayant lu et apprécié Aristoï il y a une quinzaine d'années de cela (déjà ! ). Je pense que je devrais apprécier encore plus le roman des frères Strougatski qui sommeille dans ma pile depuis quelque temps... Motivé pour le lire !
Je ne sais pas, en fait, quelle aurait été ma réaction si je n'avais pas connu "Il est difficile d'être un dieu" avant. Car il me semble quand même que Aristoï traîne des problèmes de structures, entre un début philosophiquement intéressant mais d'une longueur épouvantable, et une fin plus dynamique, mais qui tient mal debout.
Il n'est pas dans mon trio de tête des oeuvres de Williams non plus...
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